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Mais nous approchons, et voici le merveilleux spectacle que nous contemplons du wagon : des liardes d’antilopes et de gazelles, des cerfs et des élans bondissent à travers les hautes herbes ; puis ce sont des troupeaux de zèbres, parfois au nombre de plusieurs centaines, chevauchant si près de nous, que les raies de leur pelage sont visibles à l’œil nu ; puis des autruches, les unes blanches, les autres. noires, qui détalent, moitié courant moitié volant, puis des gnous ou wildebeests, ces étranges animaux noirs, grands comme des chevaux, hauts d’épaules et bossus, à l’allure gauche et lourde, tenant à la fois de l’élan et du bison.

Et ce n’est pas seulement le long de la voie que le gibier foisonne : aussi loin que l’œil peut porter sur ces plaines à perte de vue qui s’étendent jusqu’au Kilimandjaro, dans toutes les directions, nous voyons grouiller toutes les variétés d’antilopes, depuis la gracieuse gazelle de Thomson, jusqu’au rouge kongoni, à l’élan de haute taille, et au cerf qui rappelle le wapiti d’Amérique ; puis encore des troupeaux de zèbres à la course rapide, et des autruches qui se balancent en courant, et des bandes de singes qui gambadent, et de loin en loin une hyène ou un chacal qui rôde solitaire, puis encore des antilopes et encore des autruches, et encore des zèbres, mais plus de girafes, car, pas plus que l’éléphant, elles ne sauraient vivre dans des prairies dépourvues d’arbres.

Tout en étant le paradis des animaux, ces plaines, à cause de l’absence complète d’arbres, sont d’une souveraine monotonie. C’est, sous l’équateur, la nudité de l’Islande. Mais c’est comme un jardin zoologique sans limites, qui, pendant des heures et des heures, se déploie tout le long de la voie. Et le spectacle est tellement fantastique, qu’on songe involontairement aux beaux jours de l’âge d’or. On n’a qu’à jeter les yeux vers n’importe quel point du paysage pour apercevoir des animaux errant en troupes dans l’attitude qu’ils devaient avoir aux temps primitifs du monde. Ils ne s’effarent nullement au passage du train, car ils semblent parfaitement savoir qu’il est défendu aux voyageurs de leur tirer des coups de fusil, et que de chaque côté de la voie le terrain constitue sur une certaine étendue une réserve de gibier interdite aux chasseurs. Et comme cette étendue est plus mince au Nord qu’au Sud, c’est à gauche de la voie que le gibier foisonne le plus, comme s’il savait qu’il s’y trouve plus éloigné du chasseur. Sous des peines très sévères.