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arbre isolé qui ne porte ni branches ni feuilles ; et mon compagnon, s’amusant à mes dépens, m’explique que ce que je prends pour un arbre est une grande girafe solitaire qui regarde passer le train. Je crois qu’il se moque : comment admettre qu’une girafe puisse rester aussi-immobile que si elle était pétrifiée ! Comme le train décrit lentement une longue courbe, nous voyons, pendant plusieurs minutes, cette forme se détacher sur l’horizon, et je ne reviens de ma méprise que lorsque, au moment de perdre de vue ce que j’ai pris pour un arbre, je le vois qui se met en mouvement et arpente la prairie à longues enjambées.

A peine revenu de mon étonnement, je vois courir, si près de nous que, cette fois, je puis parfaitement les observer, une barde de cinq girafes parmi lesquelles une toute petite : elles s’enfuient à l’approche du train, d’une course gauche et avec un balancement grotesque du cou. Je m’étais imaginé la girafe rapide et gracieuse lorsqu’elle erre en liberté, et voilà encore une de mes illusions qui s’envole. Elle est si lente dans sa fuite, elle a tant de peine à mouvoir ses longues jambes et son long cou, qu’elle doit difficilement échapper à la poursuite du lion qui en fait une de ses proies de choix. Et je me suis laissé dire qu’on les capture très facilement à cause de la peur qui paralyse leur course : souvent même elles tombent mortes d’émotion. Ne se nourrissant que des feuilles des arbres qu’elles atteignent grâce à la longueur de leur cou, elles ne se plaisent que dans les contrées boisées.

Et en effet, le pays où nous sommes rappelle à mon compagnon normand une plantation de pommiers de Normandie. Mais comme presque tous les arbres d’Afrique, ces prétendus pommiers sont des arbres à épines, et ces épines, longues comme le doigt, sont acérées comme des aiguilles. Bien que nous soyons dans la saison des pluies, l’herbe est jaune, brûlée par le soleil équatorial. Que doit donc être cette herbe dans la saison sèche ! Et pourtant, c’est la nourriture des innombrables hôtes de ces plaines immenses.

Car la région giboyeuse ne commence vraiment que là où les arbres disparaissent tout à fait, là où l’herbe constitue l’unique végétation. Au moment où nous abordons cette région, le Père Fouasse, de ses yeux de lynx, voit du gibier là où je n’aperçois rien encore.