Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/676

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans cette zone équatoriale, qu’il n’y a pas de soir marquant le passage du jour à l’ombre. Et rien comme cette brusque tombée de la nuit ne donne à l’Européen l’impression mélancolique de dépaysement.

Il fait nuit noire quand le train s’arrête à Voi, la station d’où part la route commerciale qui aboutit au district du Kilimandjaro, dans la colonie allemande de l’Est africain. En attendant qu’un chemin de fer unisse un jour Voi au pied du volcan, le voyage demande actuellement cinq journées de cahotement dans une charrette indigène tirée par des ânes. Le train s’arrête à Voi le temps nécessaire pour permettre aux voyageurs de faire un mauvais diner, au prix de deux roupies, dans un de ces dak-bungalows que la Compagnie a installés en guise de buffets, en attendant qu’elle inaugure un jour des wagons-restaurans. Ici encore, c’est l’encombrant Hindou qui exploite les voyageurs.

Je passe la nuit en wagon, étendu sur ma banquette, enroulé dans ma couverture de voyage sous laquelle j’ai vraiment froid, car les nuits sont glaciales sur les hauts plateaux africains.


II

A six heures du matin, nous sommes à douze cents mètres d’altitude, sur le plateau d’Athi, à Sultan Hamoud, dont le nom rappelle que hier encore les Arabes étaient les maîtres du pays. C’est là que, fatigué de ma solitude et éprouvant le besoin de causer, je vais retrouver dans son compartiment de deuxième classe le Père Fouasse, un Français de Normandie, avec qui j’ai dîné à Voi, et qui se rend à la mission des Pères Blancs, près de Nairobi.

Mon aimable compagnon de voyage, qui connaît la route pour l’avoir faite souvent, m’avertit que le moment est venu d’ouvrir les yeux, car nous entrons dans la région la plus intéressante de la ligne, la réserve de gibier. Je ne vois tout d’abord qu’un trait du paysage : ce sont les petites collines artificielles en forme de cônes, d’environ trois mètres de haut, d’une terre rougeâtre, qu’on aperçoit de tous côtés, généralement juxtaposées au nombre de trois. Ces édifices sont le résultat du patient travail des termites, improprement appelés fourmis blanches.

Tandis que j’observe ce curieux phénomène, mon attention est bientôt détournée par un autre objet : il me semble voir un