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encore sur le chemin de fer de l’Ouganda des wagons-lits comme sur les chemins de fer du Sud-Afrique, et le voyageur qui ignore qu’il doit être muni d’objets de literie est réduit, et c’est mon cas, à dormir tout habillé sur un colis en guise d’oreiller. Quant au service, il n’est (pas fait par des blancs, et l’on s’en aperçoit aux pittoresques empreintes des pieds nus des indigènes marquées sur la boue séchée qui souille le plancher du compartiment.

Et maintenant que nous avons inspecté ce qui sera pendant deux jours et deux nuits notre maison roulante, voyons le paysage qui défile sous nos yeux. Nous traversons d’abord l’ile de Mombasa, avec ses manguiers et ses bananiers, et ses populeux villages indigènes, et bientôt nous sommes sur le magnifique pont qui unit l’ile au continent noir. Je suis ravi par l’admirable horizon de mer et de montagnes qu’on embrasse du haut de ce pont, et qui me rappelle certains paysages maritimes que j’ai contemplés dans la mer intérieure du Japon. Le détroit franchi, c’est l’Afrique équatoriale dans toute sa splendeur. C’est la forêt, et quelle forêt ! Des manguiers, des cocotiers, des palmiers borassus, des mimosas, des frangipaniers, des baobabs, à l’ombre desquels brillent l’hibiscus, et mille autres fleurs éclatantes. Dans l’orgie de cette exubérante végétation tropicale, il n’est pas rare de voir des arbres croître l’un dans l’autre, de voir s’épanouir un palmier magnifique dans le cœur d’un manguier. La première fois que j’ai vu ce phénomène végétal, je n’en croyais pas mes yeux : c’était dans les terres chaudes du Mexique : mais ici le fait est si fréquent, qu’on ne s’en étonne plus. Ce qui intéresse davantage, c’est de voir cette merveilleuse forêt habitée par des êtres humains qui y vivent de la vie de nos premiers parens dans le paradis terrestre. Sous les hautes futaies, à l’ombre des feuilles immenses des bananiers, apparaissent çà et là des cases en paille où s’abritent de paisibles et heureuses familles noires qui n’ont plus à redouter les razzias d’esclaves.

Mais l’idylle de la région côtière s’évanouit comme par enchantement quand la voie commence son ascension vers le plateau africain. Aux environs de la station de Mazeras, pendant qu’une pluie tropicale s’abat contre les vitres du wagon, un changement à vue se produit : à la zone forestière a succédé la zone des cultures, les rizières, les champs de maïs et de