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L’hôtel où s’arrêtent mes noirs vaut ceux que j’ai rencontrés au fond de la Chine et de la Mandchourie. Mais nous sommes en Afrique. C’est le type de l’hôtel des tropiques, où tout est conçu en vue de l’air et de l’espace. Des rideaux en guise de porte. Dans une large véranda bien aérée sont alignées ces chaises longues connues sous le nom de chaises coloniales, qui invitent à la sieste pendant les heures chaudes de l’après-midi. Quant aux chambres, elles ont pour tous meubles un lit de fer, une cuvette sur une mauvaise table, et un unique clou au mur pour les vêtemens. Sur les murs et le plancher courent des araignées, des cancrelats et autres insectes, et ce qui achève de me prouver que je suis en Afrique, c’est que ma fenêtre, que protègent des volets verts, s’ouvre sur une cour où croit un énorme baobab sous l’ombre duquel gambade un singe.

Me voici donc sur la terre d’Afrique, ou, pour parler plus exactement, dans une île d’Afrique, car Mombasa, de même que Zanzibar, est bâtie sur une île corallienne qu’un détroit sépare du continent. Et pourtant, je suis si dérouté par tout ce que je vois, que je m’imagine être dans l’Inde. Tantôt, en débarquant sous les palmes des cocotiers, je me rappelais Ceylan. Et maintenant, je crois être dans un hôtel de l’Inde. Où sont donc les noirs ? Cuisiniers, stewarts, gens de service, tout le personnel est hindou, et le carry de l’Inde est à table le plat dominant. Que j’aille au télégraphe ou à la banque ou à la poste, c’est toujours à des employés hindous que j’ai affaire. La police même est recrutée parmi les Sikhs du Punjab. Il n’est pas jusqu’à la monnaie qui ne soit celle de l’Inde. Le premier soin du voyageur qui débarque ici est de se procurer des roupies, seule monnaie qui ait cours dans toute l’Afrique orientale.

Mombasa (dont l’histoire est une longue succession de luttes sanglantes entre les Portugais et les Arabes) est aujourd’hui la tête de ligne du chemin de fer de l’Ouganda, un des plus magnifiques triomphes de la civilisation sur la barbarie africaine. Commencés en 1896, les travaux furent poussés avec une telle activité, que la voie fut terminée en moins de six ans. Dès 1902, fut organisé un service régulier de trains de voyageurs. Pour se procurer la main-d’œuvre, on fit venir des Hindous. On ne saura jamais combien de ces malheureux succombèrent sous les ardeurs du soleil et sous la dent des lions. Des milliers de vies humaines furent sacrifiées à la construction de cette voie ferrée.