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les Asiatiques se révèle dans la personne du préposé de la douane. C’est le premier fait qui me frappe en débarquant, et je pourrai le constater à chaque pas sur cette terre que je croyais être le domaine de la race noire.

Ce sont des noirs pourtant qui, après la fin de l’averse tropicale, s’emparent de mes colis et les transportent vers les trolleys qui stationnent à quelque distance du débarcadère. On désigne sous ce nom une petite voiture de tramway avec deux places seulement, couverte d’un auvent, et poussée par des nègres qui vont tout le temps au pas de course, et qui, dans les descentes, laissent le véhicule courir tout seul sur les rails. Le trolley est, avec le djin-riki cha ou voiturette japonaise, le mode de locomotion dont se servent les Européens et aussi les Hindous qui marquent ainsi leur supériorité sur la race abjecte des noirs.

C’est dans ce curieux équipage que je gagne Mombasa, situé à 3 kilomètres de Killindini. La route, très large, taillée dans une terre jaune, court au milieu d’une végétation devant laquelle, nouveau débarqué, je m’extasie dans une muette admiration. C’est comme un jardin paradisiaque où croissent des manguiers au feuillage incomparable, des mohurs dorés tout resplendissans de fleurs rouges, des palmiers dont la grâce et la légèreté contrastent avec la lourdeur des baobabs. Des vols d’oiseaux au merveilleux plumage sillonnent l’air sous les épais rideaux de verdure, et le cri de l’hirondelle est le seul qui soit familier à l’Européen parmi ces oiseaux inconnus. Ils volent sous les ombrages humides d’arbres géans chargés de lianes et de plantes grimpantes, et se reposent sur les guirlandes fleuries qui se balancent d’un palmier à l’autre. Dans cette orgie de verdure et de fleurs se mêlent toutes les plantes que font éclore le soleil et les pluies de l’Equateur. D’adorables sentiers se détachent de la route, qui mènent à des huttes d’indigènes cachées dans la verdure.

Mais voici que nous sortons de cette forêt enchantée pour déboucher sur une grande plaine ensoleillée, où l’on ne voit plus que de loin en loin un immense baobab. C’est que la nature du sol a changé subitement. Près de la mer, c’était la terre végétale ; maintenant nous sommes sur les rochers de corail. La zone forestière est le domaine malsain des fièvres et des moustiques ; la zone rocheuse est, à cause de la sécheresse du sol, plus salubre et plus habitable : c’est là que s’est développée la ville de Mombasa.