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agricole le représentant de la « classe bourgeoise, » dont l’avidité et l’âpreté au gain transformeraient le salarié en un prolétaire exploité, vendant sa force de travail au-dessous de la valeur qu’elle produit et des bénéfices usuraires qu’elle assure à l’employeur. Ce dernier vit de la vie de son auxiliaire, travaille près de lui, supporte ses fatigues, et lui fait partager le bien-être relatif dont il jouit lui-même. L’étude de la réalité partout observée n’est qu’une protestation qui se dresse contre les conclusions théoriques de ceux qui professent les doctrines de bouleversement et de haine. La suppression du salariat agricole n’égaliserait pas des conditions qu’ont déjà égalisées, — en les confondant, — et les mœurs, et les circonstances économiques, et l’amélioration continue de la situation de l’employé.

Le chômage est moins redoutable qu’on ne l’a soutenu ; la diversité des opérations culturales ou des travaux de la ferme, le rôle spécial de la forêt qui couvre en France 15 millions d’hectares, la prévoyance avertie et intéressée du patron agricole, atténuent les inconvéniens de ce chômage climatérique et saisonnier, et souvent les font disparaître. Enfin la durée du travail n’est point commandée par le despotisme du maître, mais par la force des choses, et, s’insurger contre cette règle, c’est lutter contre le bon sens, en voulant réduire le développement de la richesse agricole, source de toute amélioration durable de la condition du salarié lui-même.

Un problème angoissant est cependant posé et se dresse devant nous. La population rurale adonnée à l’agriculture décroît d’une façon absolue et relative ; l’effectif des salariés agricoles diminue surtout. N’est-ce pas là un signe et une preuve de l’infériorité ou de la misère de sa condition ?

En réalité, l’exode rural nous apparaît comme la conséquence nécessaire d’un déplacement de la population, déplacement que justifie le développement de l’industrie, du commerce, des échanges, et des transports.

Est-ce donc là un mal, un signe de ruine et un présage de misère ?

Notre conviction profonde, au contraire, c’est que le déplacement de la population, déplacement limité, réduit à ses proportions véritables, spécial aux salariés agricoles, doit être considéré comme la conséquence du développement extraordinaire de la production rurale et du bien-être général dont