Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/664

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne convient pas toutefois d’exagérer et d’oublier les inconvéniens réels de cette désertion des campagnes. Nous cherchons la vérité, nous ne soutenons pas une thèse ou un paradoxe. Personne assurément ne doit oublier que le séjour dans les villes et le travail dans l’atelier présentent des dangers au point de vue moral aussi bien qu’au point de vue matériel. L’élévation des salaires industriels ne compense pas toujours l’augmentation des dépenses nécessaires... ou superflues, — celles qu’impose, même aux plus sages, le désir si humain d’acquérir ce que l’on voit étalé près de soi.

On voudrait épargner à l’émigré volontaire, au « déraciné, » les déceptions ou les regrets, les misères et les souffrances, en lui conseillant de demeurer et de vivre auprès de la colline qui avait abrité son berceau. Les conseils ne sont-ils pas inutiles, et les vœux impuissans ? L’expérience parait l’avoir prouvé. Ce que l’on peut seulement admettre et espérer, c’est que l’industrie rurale elle-même sera, dans bien des cas, en état de lutter victorieusement contre l’usine et l’atelier en leur disputant la main-d’œuvre. L’agriculture devenue précisément une industrie, comme disait Léonce de Lavergne, peut offrir des rémunérations assez régulières et assez larges pour retenir l’ouvrier rural. Dans la monographie des Bouches-du-Rhône, on peut lire cette note très instructive ; u La seule région où le nombre des salariés tende à augmenter est celle de la basse vallée de la Durance. Les cultures maraîchères et fruitières, celles des plantes porte-graines, des chardons, etc., qu’on y pratique, sont très intensives et exigent beaucoup de main-d’œuvre. Comme la terre porte trois ou quatre récoltes par an, le chômage n’y est guère à craindre. La prospérité de la culture permet, d’autre part, de payer des salaires relativement élevés.

« Les conditions de bien-être des salariés agricoles y sont, enfin, meilleures qu’ailleurs, car la plupart d’entre eux habitent, avec leur famille, les agglomérations nombreuses dans cette région. Il convient d’ajouter que les femmes et les enfans trouvent du travail plus fréquemment qu’ailleurs, notamment à l’époque de la cueillette des fruits et de la récolte des légumes. Les ressources du ménage s’en augmentent d’autant. »

Est-il vrai d’ailleurs que le salaire industriel soit toujours supérieur au salaire agricole ? Rien de moins certain, lorsqu’il s’agit notamment des salariés de l’industrie qui n’ont pas de