Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/662

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Dans la Loire, « on augmente les cultures fourragères permanentes et en particulier les prairies d’élevage et d’embouche qui n’exigent qu’un personnel réduit. »


« Tout est perdu, nous dira-t-on : l’extension des cultures fourragères et le développement simultané de l’élevage auront alors pour effet de réduire les surfaces consacrées à la culture des céréales et à celle du blé en particulier. La France va manquer de pain : tel sera le résultat de l’exode rural et des transformations agricoles qui en seront la conséquence. »

Aucune crainte n’est plus chimérique ; nulle idée n’est plus fausse et ne trouve plus aisément sa réfutation dans l’observation des faits. Les préoccupations exclusives et exagérées manifestées autrefois à propos de la production du blé ont causé à notre agriculture un véritable préjudice. Aujourd’hui encore, on affirme audacieusement que l’agriculture anglaise est ruinée parce que la surface réservée au froment a diminué d’étendue ! Léonce de Lavergne, dans ses études si pénétrantes sur l’agriculture de l’Angleterre, avait déjà combattu résolument le préjugé que nous signalons. Sans entrer dans des détails techniques qui ne seraient pas ici à leur place, il nous est permis de citer les passages suivans où l’on trouve des argumens si décisifs et des explications si claires[1] :

« Toute culture a pour but de créer la plus grande quantité possible d’alimentation humaine sur une surface donnée de terrain ; pour arriver à ce but commun, on peut suivre des voies très différentes. En France, les cultivateurs se sont surtout occupés de la production des céréales, parce que les céréales servent immédiatement à la nourriture de l’homme. En Angleterre, au contraire, on a été amené, d’abord par la nature du climat, ensuite par la réflexion, à prendre un chemin détourné qui ne conduit aux céréales qu’après avoir passé par d’autres cultures, et il s’est trouvé que le chemin indirect était le meilleur. Les céréales, en général, ont un grand inconvénient qui n’a pas assez frappé le cultivateur français : elles épuisent le sol qui les porte. Ce défaut est peu sensible avec certaines terres privilégiées ; il peut être d’un faible effet, tant que les terres abondent pour une population peu nombreuse, mais quand la population s’accroit,

  1. Léonce de Lavergne, Essais sur l’Economie rurale de l’Angleterre, p. 51.