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déplacement observé de nos jours a été constaté dans la seconde moitié du XIXe siècle.

D’ailleurs la prospérité de l’agriculture n’en souffrait pas, puisque cette prospérité même était la cause puissante qui provoquait le développement de l’industrie en lui assurant un débouché plus large. La misère du salarié rural avait-elle, au contraire, chassé le travailleur manuel des campagnes ? Rien de moins exact. De 1862 à 1882, dans l’espace de vingt ans, les gages des serviteurs de ferme augmentent dans les proportions suivantes :

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Maîtres-valets 104 francs ou 28 p. 100
Laboureurs, charretiers 68 — 26 —
Bouviers, bergers 60 — 26 —
Servantes 105 — 80 —


L’augmentation serait bien plus accusée si nous comparions les salaires de 1882 à ceux de 1852[1]. Ainsi nous constatons aujourd’hui ce que l’on observait hier.

L’agriculture a déjà subi l’épreuve que lui imposait la diminution du nombre des bras disponibles et la hausse simultanée des salaires. Elle a victorieusement résisté et triomphé de cet obstacle. Sous l’influence toute-puissante des débouchés qui s’ouvrent plus larges devant lui, l’agriculteur perfectionne les procédés techniques en vue de produire davantage et de profiter des hauts prix que lui assure précisément le développement de la consommation.

Ses épargnes réalisées accroissent le capital dont il dispose, c’est-à-dire les agens de transformations et les moyens de production de toutes catégories. Non seulement le territoire déjà cultivé est mis en valeur d’une façon plus parfaite, mais les surfaces incultes sont conquises ; la jachère est réduite ou disparait. Ainsi l’étendue du sol productif augmente réellement, malgré la diminution absolue du nombre des travailleurs chargés de la cultiver. C’est cela que nous apprend l’étude du passé, et pareil enseignement ne saurait être négligé.

Il n’est pas question, d’ailleurs, de nier les inconvéniens que présente l’exode rural. Le patron agricole trouve là une difficulté de plus qui rend sa tâche pénible et ses préoccupations

  1. Voyez à ce sujet notre ouvrage : Les Salaires et le Contrat du travail, 1 vol., chez Brière, Paris, 1908.