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produits. Le développement de la richesse industrielle et des progrès de la richesse agricole ont marché du même pas. Ils sont restés solidaires. L’agriculture est d’ailleurs chargée de fournir à l’industrie les matières premières que cette dernière transforme.

L’agriculteur et l’industriel sont donc des émules et non pas des rivaux. A mesure qu’a grandi la production rurale, la production industrielle a pu grandir à son tour, et, par une réaction ou une solidarité économique partout et toujours observée, l’existence d’une industrie prospère a précipité les progrès de l’agriculture elle-même. En multipliant ces consommateurs des produits de la terre, on peut donc dire que l’exode rural lui-même n’a pas été une cause de ruine pour l’industrie rurale ; il a, dans une certaine mesure, servi au contraire ses intérêts et assuré sa prospérité.

Est-ce là un paradoxe, une idée fausse qui heurte le bon sens ? Nous n’en croyons rien. En étudiant, il y a soixante ans, l’économie rurale d’un pays où l’exode rural avait été observé, Léonce de Lavergne concluait dans le même sens que nous, et disait à propos de l’Angleterre :

« Ce qui caractérise la culture anglaise, c’est moins la grande culture proprement dite que l’érection de la culture en industrie spéciale et la quantité de capital dont disposent les cultivateurs de profession. Ces deux caractères dérivent l’un et l’autre de l’immense débouché de la population non agricole[1]. »

Pour rendre sa démonstration plus claire, Léonce de Lavergne compare ensuite la France à l’Angleterre. Le tableau qu’il trace de notre agriculture parait trop sombre aujourd’hui, mais la pensée de l’auteur nous frappe par sa profondeur.

« Si nous nous transportons en France, dit-il, dans les départemens les plus arriérés du Centre et du Midi où règne le métayage, qu’y trouvons-nous ? une population clairsemée, égale tout au plus au tiers de la population anglaise. Notre population est agricole à peu près exclusivement. Peu ou point de villes, peu ou point d’industrie, le commerce strictement nécessaire pour suffire aux besoins bornés des habitans. Le cultivateur ne peut trouver rien ou presque rien à vendre. Pourquoi travaille-t-il ? Pour se nourrir, lui et son maître, avec ses produits. Le

  1. Léonce de Lavergne, Économie rurale de l’Angleterre, Paris, 1858, p. 172.