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métayers, même quand ils n’ont pas le capital nécessaire. » (Lot-et-Garonne.) C’est le propriétaire qui fait alors les avances nécessaires ; c’est lui qui facilite l’évolution grâce à laquelle le salarié devient un chef de culture indépendant. Tel est le régime social qui dépouille soi-disant le travailleur manuel au profit du capitaliste et de celui qui détient le monopole de la propriété foncière !


« Toutefois, nous répétera-t-on en insistant, l’émigration des campagnards est une réalité que vous ne pouvez pas écarter ! »

En vérité, nous ne songeons pas à dissimuler ce mouvement. Il s’agit seulement d’en discerner la cause et d’en montrer la portée réelle. Oui, un grand nombre de jeunes gens et de jeunes filles abandonnent les champs pour devenir notamment employés de commerce ou salariés dans les ateliers industriels. Est-ce donc là un mal ; est-ce une perte que rien ne compense ? Il nous est impossible de l’admettre.

Le développement des échanges et de la production industrielle ne constituent ni une erreur ni un danger ; or il est lié sans discussion possible à l’augmentation numérique du personnel salarié. Dans un pays dont la population reste stationnaire, l’accroissement de cet effectif ouvrier suppose un déplacement, et ce mouvement est déterminé en particulier par l’offre d’un salaire élevé. Il y a plus : les progrès agricoles eux-mêmes et le développement si rapide de la production depuis vingt ou trente ans, provoquent à leur tour la multiplication des denrées industrielles que l’agriculteur peut consommer parce qu’il en offre la valeur sous la forme d’une denrée produite, vendue, et réellement échangée, en fin de compte, contre une marchandise industrielle. Nous restons persuadés que l’accroissement si notable du bien-être dans nos campagnes correspond à une demande plus active, à une consommation plus large, et par suite à un débouché nouveau ouvert à la production de nos manufactures, de nos ateliers, de nos mines ; il entraine une circulation plus intense, c’est-à-dire, en termes plus clairs, des échanges commerciaux plus nombreux. Comment les dix-sept ou dix-huit millions d’agriculteurs français pourraient-ils recevoir les denrées industrielles qu’ils réclament et qu’ils paient si l’industrie, les transports, le commerce ne prenaient pas dans les campagnes elles-mêmes le personnel nécessaire