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augmentations sont considérables entre 1896 et 1910. Ce phénomène est d’ailleurs général et il a été observé depuis fort longtemps. L’élévation des salaires ruraux fut particulièrement notable entre 1850 et 1870 ; elle est ensuite moins rapide, mais continue et marquée jusqu’en 1900. Durant les premières années du XXe siècle nous venons de voir qu’elle était signalée dans des régions nombreuses, très différentes, et très éloignées les unes des autres. Nier l’amélioration graduelle de la condition matérielle du travailleur rural, c’est donc nier l’évidence ou se refuser à constater les faits les mieux établis.


Les adversaires du salariat et du régime de la propriété privée font observer, il est vrai, que la hausse des salaires est plus apparente que réelle, parce que le prix des denrées et notamment des denrées alimentaires s’élève rapidement depuis quelques années. Deux observations enlèvent à cette critique la valeur qu’on serait tenté de lui attribuer. En premier lieu, un grand nombre de salariés agricoles, les journaliers surtout, sont en même temps propriétaires et cultivateurs. Qu’ils consomment en nature le produit de leurs terres ou qu’ils le portent sur le marché, le résultat économique et financier reste le même. Dans la première hypothèse, ils ne souffrent pas d’une hausse puisqu’ils produisent eux-mêmes et n’achètent pas ; dans le second cas, l’élévation du prix de vente de leurs denrées compense l’augmentation de valeur marchande des produits qu’ils achètent. Or, le nombre des « journaliers-propriétaires » reste considérable dans notre pays. La plupart des monographies publiées par le Ministère de l’Agriculture signalent le fait et même le précisent avec des chiffres. Ainsi, dans l’Isère, on relève l’existence de 12 700 journaliers propriétaires contre 5 600 ouvriers non-propriétaires. Dans l’Indre-et-Loire on compte 6 140 propriétaires et 4 600 journaliers sans propriétés. Dans la Côte-d’Or, le nombre des premiers l’emporte également sur celui des seconds. La proportion est de deux à un. La Savoie et la Haute-Savoie comptent beaucoup de petits propriétaires, qui travaillent à la journée. Leur nombre serait dix fois plus considérable que celui des travailleurs salariés ne possédant pas de terres ! Sans doute on pourrait citer des régions moins favorisées à cet égard, surtout dans l’Ouest. En somme, pour la France entière, on avait relevé, vers 1892, le nombre des