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par la grâce de sa Vierge aux vêtemens roses pailletés d’argent. Le goût des Brugeois pour la peinture est toujours grand au XVIIIe siècle. Mathias de Visch, de Deyster, Garremyn composent le petit groupe des peintres locaux, très féconds et qui remplissent les places restées vides dans les églises. Garremyn passa pour un aigle. A soixante-dix-neuf ans, il épousa une jeune fille qui en avait vingt-quatre ; ses peintures de l’église Saint-Gilles (Rachat des esclaves par les Frères trinitaires) sont des turqueries pittoresques ; la mort ne le surprit qu’à quatre-vingt-sept ans. D’énormes et agréables peintures du dernier des van Orley décorent le transept de Saint-Sauveur (1725, Scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament). Elles servirent de cartons aux derniers lisseurs de Bruxelles, et ces tapisseries rehaussent d’une incomparable parure le chœur de la cathédrale aux fêtes solennelles.

Et voici qu’à l’aurore de l’âge contemporain apparaît la silhouette sympathique et désuète de Jos.-Benoit Suvée, directeur de l’Académie de France à Rome. Né à Bruges, le 3 janvier 1742, il se forma chez Mathias de Visch, se perfectionna à Paris, chez Bachelier et obtint le prix de Rome en 1771 contre Louis David. A la nouvelle du triomphe, Bruges la vieille ville des peintres, illumina. Vingt-sept voitures, un char de la Renommée, des musiques, toute une cavalcade allèrent cueillir le vainqueur aux abords de la cité ; après quoi, il y eut réception à l’Hôtel de Ville, remise à Suvée de deux flambeaux d’argent et banquet de cent vingt couverts. Revenu à Paris, après un premier séjour à Rome, l’artiste fut nommé peintre du Roi, puis emprisonné par la Terreur, ce qui lui permit de peindre l’unique portrait existant d’André Chénier (25 juillet 1794) et quelques autres effigies de condamnés, « dont la possession devait répandre un baume consolateur sur une femme ou des enfans à la veille d’être séparés pour jamais de l’objet de leur tendresse. » Libéré, nommé directeur de l’Académie de France à Rome, il installa l’école dans la villa Médicis et « dépensa généreusement sa fortune pour les réparations et embellissemens du palais. » Cet homme sensible mourut à Rome, le 9 février 1807, Le tableau du maitre-autel de Saint-Walburge, à Bruges, est son œuvre. On jurerait de loin un tableau dans la mauvaise manière jaunâtre de van Oost le Vieux. Aussi Alfred Michiels y retrouve-t-il quelques souvenirs de la palette flamande. « Le soldat terrifié de l’avant-plan