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de Zeebrugge, les hydrographes modernes ont réalisé une conception pareille à la sienne. Sculpteur, Lancelot est l’auteur d’une des merveilles de la plastique septentrionale : la Cheminée du Franc. (Peut-être fut-il dessinateur de statues ou modeleur de maquettes plutôt que sculpteur proprement dit.) Il dirigea les travaux de sa cheminée con amore, consulta des artisans experts à Gand, Malines, Bruxelles, prit avis du fameux Jean Gossart. Les magistrats le mandaient souvent pour qu’il les renseignât sur la marche des travaux et lui offraient des Kanne wyns. Les pots-de-vin étaient alors une grande marque d’honneur. On connaît cette Cheminée toute resplendissante des inventions juvéniles de la première Renaissance. Le travail des cinq statues en bois (Charles-Quint et ses ancêtres paternels et maternels) est admirable autant que celui du pompeux décor de colonnettes, d’amours, de blasons, de médaillons, — et, s’il est vrai que la Cheminée prend trop de place dans la salle qu’elle orne, il est certain aussi qu’elle dit mieux qu’aucune autre œuvre l’indéracinable passion artistique des Brugeois de jadis.

La plus ancienne peinture connue de Lancelot Blondeel est l’Histoire des saints Cosme et Damien, exécutée en 1523 pour la corporation des Chirurgiens-Barbiers de Bruges (église Saint-Jacques). Habillés d’étoffes finement nuancées, les deux héros dressent leurs sveltes silhouettes de damoiseaux dans d’inextricables combinaisons architecturales inspirées du style plateresque et tracées au vernis brun. Saint Luc peignant la Vierge (musée communal) et la Vierge entre saint Luc et saint Éloi (cathédrale Saint-Sauveur) datent de 1545 ; le système décoratif, toujours très développé, s’éloigne cette fois du style plateresque et s’inspire du style mis à la mode par le traducteur flamand de Vitruve, l’alostois Pierre Coecke. Dans le charmant tableau de Saint-Sauveur, la Vierge et l’Enfant apparaissent dans une niche très ornementée, érigée sur une sorte d’arc triomphal où pend une guirlande mantegnesque et à travers lequel fuit un paysage de montagnes romantiques. Jean Bellin semble avoir disposé les figures et leur groupement est unique, je crois, dans l’art des Flandres. L’art triomphal remérore qu’en 1549, les échevins de Bruges consultèrent le maître « quant aux places et aux patrons d’un arc de triomphe à ériger pour congratuler le prince d’Espagne (Philippe II) lors de sa Joyeuse entrée en ville. » Le