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munificence du ministre d’État, M. Auguste Beernaert, qui a doté le musée communal de Bruges d’un triptyque chatoyant : Paradis, Purgatoire et Enfer, dû à l’un des meilleurs continuateurs de Bosch. — Comment une œuvre de Michel-Ange a-t-elle pu être vénérée dès les débuts du XVIe siècle dans ce milieu obstinément gothique ? Il est vrai que la Madone de Jean Mouscron est moins surnaturalisée par l’idéalisme platonicien du Buonarroti que par le pur esprit de la Toscane quattrocentiste. Et l’on comprend que cette belle Vierge florentine n’a pas été accueillie en étrangère au pays de Memlinc et de Gérard David.


Mieux valait vivre en consentant au sacrifice d’une cure méridionale que de mourir en répétant des formes créées par des maîtres inimitables. C’est ce que pensa résolument Lancelot Blondeel[1]. Et cette fois Bruges se laissa persuader. Peintre, sculpteur, polychromeur de statues et d’écussons, dessinateur de cartons de tapisseries et de vitraux, ordonnateur de décors et de fêtes publiques, expert et restaurateur de tableaux, architecte, graveur, —géographe et ingénieur par surcroit, — Lancelot Blondeel représente à Bruges une génération d’italianisans multiformes, à qui sans doute le mot de Léonard n’était pas inconnu : il pittore dev’essere universale. Et bien que l’amour de Lancelot pour la décoration nouvelle s’étalât d’une façon presque agressive dans ses fonds dorés et ornementés, Bruges sut faire valoir les mérites de ce « moderniste « dont les œuvres ornèrent les édifices religieux et communaux, les logis corporatifs, patriciens et bourgeois.

Lancilotus, pictor brugensis praestantissimus, — ainsi le désigne Sanderus au XVIIe siècle, — naquit dans l’échevinage de Poperinghe vers 1496. Il aurait débuté comme maçon, — ce qui ne l’empêcha pas d’être reçu franc-maître dans la Gilde des Peintres dès l’année 1519. Les mérites du peintre sont éclipsés par ceux de l’ingénieur et du sculpteur. En 1546, il élabora le plan d’un port nouveau sur la mer à la hauteur de Heyst, relié à Bruges par une voie navigable à grande section avec canaux détachés vers Damme et l’Ecluse. Faute d’argent le projet échoua. Blondeel venait trop tard, — ou trop tôt. Avec le port

  1. Cf. James Weale, Lancelot Blondeel. De Plancke, Bruges, 1908, et Pierre Bautier, Lancelot Blondeel, Van Oest, Bruxelles, 1910.