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un Jugement Dernier (perdu) et c’est vers 1500 sans doute (époque de ses Noces de Cana du Louvre et de son Adoration des Mages de Bruxelles) qu’il entreprit le retable de Jean des Trompes (musée communal de Bruges) tenu jadis pour un Memlinc, par Vitet entre autres qui préférait cette « étude de haute psychologie » à toute la production du peintre de l’Hôpital. Au panneau central figure le divin baptême dans les eaux du Jourdain. L’invisible se lit sur le visage du Sauveur et sur celui de saint Jean, plein de fermeté et d’humilité intraduisibles. Le bel ange, à droite du Christ, avec sa chape traditionnelle et cassurée à la façon des van Eyck, est une figure exquise, volontairement idéalisée, et si le manteau du saint Jean-Baptiste comme celui de l’Ange se plisse à l’ancienne manière, les manteaux des petits personnages du second plan sont classiques, ont perdu toute trace de contemporanéité. Malgré son conservatisme, le peintre subit l’esthétique nouvelle. — Sur le volet de gauche, saint Jean l’Evangéliste en qui se mélangent le mysticisme médiéval et l’inconsciente aspiration vers la beauté absolue, présente Jean des Trompes et son fils, tandis qu’en regard sainte Elisabeth patronne Elisabeth van der Mersch, première femme du donateur et ses quatre filles. A l’extérieur des volets ; Madeleine Cordier (seconde femme de Jean des Trompes, morte en 1509) et sa fille, suivies d’une Madeleine enturbannée, s’agenouillent dans un décor de hautes baies cintrées, moulurées à la toscane. — La qualité spéciale et analytique du site détaillé à l’intérieur, l’individualité des arbres, la transparence des eaux cristallines, la précision des fleurs trempant leurs tiges dans le fleuve baptismal, attestent une conception plus rigoureuse du paysage que celle de Memlinc. Vitet n’aurait pas dû se tromper sur ce point. L’unité technique de l’œuvre contredit l’attribution du paysage à Patinir, proposée jadis. Est-il permis de parler de l’unité du style ? Mettant plus de ressemblance exacte dans la nature inanimée, Gérard David tendait d’autre part à la synthèse de la nature vivante. Le sentiment de ses figures restait brugeois. Pour être fixé sur sa piété, il suffit de voir ses donateurs et donatrices ; les énormes grains de leurs chapelets sont à l’échelle de leur ferveur. Ses vierges sont gracieuses ; généralement elles baissent les paupières, et leur élégance n’est plus soumise aux modes du jour, comme celles des vierges de Memlinc.