Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/619

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La vitalité sociale de Bruges allait s’éteindre ; et voici qu’elle se reflète dans le miroir qu’un peintre de génie penche sur elle ; et sa beauté s’y reflète d’autant plus inoubliable qu’elle est alanguie et pleine de détachement rêveur. Un tel milieu, un tel art ne pouvaient mourir brusquement. La splendeur brugeoise survécut à la prospérité brugeoise. C’est en lo42qu’Adrien Barland écrit : « Pulcra simt oppida Gandavum, Antverpia, Bruxella, Lovanum, Mechlinia, sed nihil ad Brugas. » Et Memlinc se continue chez Gossart, Quentin Metsys, et trouve un grand disciple en Gérard David, lequel fit fleurir encore toute une école de maîtres mystiques par le secret des pures doctrines brugeoises.


Les excès du particularisme et de la démagogie furent au moins aussi funestes à la cité que le déplorable ensablement du Zwin. Les Brugeois croyaient éviter la ruine par le maintien d’un protectionnisme à outrance ; le pouvoir monarchique se heurtait à ce particularisme démodé et l’insurrection de 1488 contre Maximilien mit en conflit les deux tendances économiques. La ville resta frappée au cœur. Dans la folie du désespoir, l’héroïsme et la férocité du XIIIe siècle ressuscitèrent. Maximilien dut se constituer prisonnier aux yeux du peuple ; enfermé au Cranenburg, il voyait de ses fenêtres, au, milieu du forum brugeois, le hourdage de justice où se succédaient les tortures et décollations offertes en spectacle à la lie. Mais la vengeance du roi des Romains fut lourde ; un Guillaume Moreel, et plus encore un Peter Lanchals en connurent le poids. Rien ne pouvait plus enrayer l’œuvre du destin. Sacrifices particuliers, impôts nouveaux, loteries, appui du pouvoir monarchique sous le règne de Philippe le Beau, tout fut inutile. Le Zwin s’ensablait, les marchands fuyaient, les villes-sœurs se détournaient. Pour la Joyeuse entrée de Charles-Quint en 1515 les magistrats imaginent de représenter sur un échafaud la roue de la Fortune tenue par le prince et sa tante Marguerite aux pieds desquels est une vierge désolée symbolisant la ville, ce qui signifie « toute misère et extrême pauvreté de laquelle on ne se peut résourdre, sinon que cette roue soit tournée par la main mise des ditz deux personnages[1]. » Les Brugeois ne connaissaient pas

  1. Pirenne, Histoire de Belgique, vol. III, p. 219.