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la Châsse au Mariage mystique de sainte Catherine où le peintre ne cherche pas seulement à nous séduire, mais veut nous toucher, nous faire penser, nous faire prier. Memlinc ne luttait pas toujours contre sa tendance au joli. Il agrémenta, semble-t-il, d’ornemens décoratifs pris à l’Italie, quelques œuvres de la fin de sa carrière. Dans la Châsse, des amorini sont sculptés sur les édifices de l’Arrivée à Rome. Pourtant la dernière œuvre du maitre nous ramène aux cimes du sentiment mystique. C’est le considérable triptyque à double volet de la Passion de Lubeck (7m, 50 de long sur 2, , 05 de large) peint pour le marchand Heinrich Greverade et daté de 1491. L’âme lyrique d’un Roger de la Pasture s’y épanche avec les richesses d’une palette à ce moment sans rivale.

Memlinc mourut le 11 août 1494 et fut enterré dans le cimetière de l’église Saint-Gilles. Il avait survécu sept ans à sa femme, laquelle lui avait donné trois enfans, Jean, Cornélie et Nicolas, encore mineurs en 1495. Un certain Jean Memmelingue est signalé en 1499 pour avoir peint le portrait d’Agnès Adornes. Est-ce le fils aîné du maître ? Nous ne savons rien des enfans de Memlinc. Que savons-nous d’ailleurs du maitre lui-même ? Il n’est plus question de légende à son propos, mais quelle aventure miraculeuse que celle de ce peintre formé on ne sait où, venu en Flandre on ne sait quand ! Ce qui est certain, c’est que le décor brugeois est inséparable des retables de Jean Floreins, de Guillaume Moreel, de Josse Willems. La Bruges des débuts du XVe siècle sert de fond aux œuvres épiques de Jean van Eyck ; la cité harmonieuse d’à présent est le cadre naturel des chefs-d’œuvre de Memlinc. Ce grand éclectique flamand absorbe en son génie la technique de Jean van Eyck, le lyrisme de Roger van der Weyden, la religiosité de Bouts, l’observation physionomique de van der Goes, le brillant esprit analytique des miniaturistes ; peut-être même, à la fin de sa carrière, devina-t-il le rôle que l’Italie allait jouer dans l’art des Flandres. Comment sa nature tendre n’aurait-elle pas succombé parfois dans l’extase de ces multiples admirations ? Mais à quelles hauteurs aussi cet éclectisme ne le mène-t-il pas aux heures inspirées ? Nul servilisme d’ailleurs dans les réminiscences ; l’unification des élémens est complète dans un idéal de douceur et de musical enchantement. Et nous ne pensons pas que ceci suffise à expliquer pourquoi Memlinc reste le peintre de Bruges ; mais ne pouvons-nous parfois nous contenter des lumières de notre sentiment ?