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le bien des pauvres, détruisirent ses comptes et papiers, lui aliénèrent les sympathies des bienfaiteurs et entraînèrent les religieuses dans leur révolte. Ils prouvaient de la sorte leur reconnaissance au Seigneur qui les avait préservés du fléau et au pauvre Jean Floreins. Celui-ci, incapable de ramener l’ordre, continua de servir les malades comme simple frère jusqu’à sa mort, en 1504. La vue des images de Memlinc et des jardins de l’Hôpital « ourlés de buis » ne parlent pas seulement de ferveur et de charité chrétiennes... L’Adoration des Mages est au centre du triptyque de Jean Floreins. On y voit le donateur, son jeune frère Jacob et, entre saint Joseph et l’élégant roi nègre, — père des Maures fantastiques qui se multiplieront dans les retables anversois du XVIe siècle, — une tête d’homme encadrée dans une fenêtre étroite : Memlinc lui-même, dit la complaisante tradition. En pendant à la Nativité (volet de droite, la Présentation au Temple (volet de gauche) surpasse peut-être la solennité mystique de Roger de la Pasture ; les petits personnages aux teintes d’aquarelle y ont des airs d’éternité comme les figures héroïques de Jean van Eyck. Le retable de Jean Floreins est un acte de foi, le plus pur, le plus net, le plus suave que Memlinc ait formulé. Jésus y est adoré par sa mère et les anges (Nativité), par les Juifs (Siméon et Anne), par les Gentils (les Mages), et surtout par le peintre, car ici comme dans la belle réplique de Madrid, la fin dernière des Memlinc est la prière.

De 1480 datent le panneau de Munich, les Sept joies de la Vierge (il conviendrait mieux de dire : le Christ, lumière du monde), le triptyque d’Adrien Reyns (musée de l’Hôpital), d’attribution douteuse, enfin la Sibylle Sambeth (même musée), qui est tout simplement, croit-on, le portrait de Maria Moreel, fille du bourgmestre Guillaume. La pseudo-sibylle, détachée sur un fond noir, porte un hennin orné d’un voile finement transparent ; dans la peinture des tulles et linons de Flandre, Metsys sera l’élève de Memlinc. C’est en 1480 que le nom du maître apparaît pour la première fois sur le registre des peintres brugeois ; c’est en 1480 que Memlinc achète une grande maison : domus magna lapidea et deux maisons attenantes. Il était riche ; Bruges ne comptait que cent quarante bourgeois plus imposés que lui. Avec deux cent quarante-cinq citoyens il aida la cité à soutenir financièrement la guerre entreprise par Maximilien d’Autriche contre le roi de France. Peut-être sa