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disciple de Roger van der Weyden comme le veut la tradition ? La mention dans l’inventaire de Marguerite d’Autriche d’ung petit tableaut d’ung Dieu de pityé de la main de Roger avec feulletz (volets) de maître Hans ; les empreintes du génie de Memlinc relevées dans le polyptyque de Beaune ; la vision que Memlinc garde de l’Adoration de Roger (Munich) en peignant sa délicieuse théophanie de l’Hôpital Saint-Jean, — autant de faits qui confirment la tradition. Faut-il reconnaître Memlinc dans un certain « Hayne de Brouxelles » signalé à Valenciennes et y peignant entre autres (1459) le cadre commandé à Roger van der Weyden par l’abbé Jean Robert ? Si oui, ce serait à Valenciennes même que Memlinc aurait subi le charme du prince d’enluminure Simon Marmion. Et après toutes ces remarques, nous devons bien avouer que les plus anciennes en date des œuvres certaines de Memlinc : le Triptyque de sir John Kidwelly (galerie du duc de Devonshire à Chatsworth) et le Martyre de saint Sébastien (musée de Bruxelles) décèlent moins l’influence de l’école de Roger ou de Simon Marmion que l’action directe du peintre de Louvain : Thierry Bouts. Le beau portrait du graveur Spinelli (musée d’Anvers), que l’on revendique bien à tort pour Antonello de Messine, est contemporain du Triptyque de sir John et du Martyre de saint Sébastien. Memlinc peignit ces œuvres à Bruges où il s’installa, croit-on, en 1468, l’année des noces de Charles le Téméraire et de Marguerite d’York. Le Vieillard du Kaiser Friedrich-Museum et son pendant, la Vieille dame du Louvre, mélancolique patricienne brugeoise qu’une mystérieuse correspondance rattache aux décors décrits par Rodenbach, doivent dater de 1470. Puis viendrait le Jugement dernier de Dantzig embarqué sur un navire hollandais, destiné à une église florentine et capturé en 1473 par le corsaire Paul Beneke. Mesurons le chemin parcouru par le maître depuis son arrivée à Bruges ; il est énorme ; c’est comme l’âme de la cité qui va l’inspirer désormais dans ses pages maîtresses et avant tout dans l’éblouissant Mariage mystique de sainte Catherine de l’Hôpital Saint-Jean.

Le chef-d’œuvre fut commencé en 1475, peut-être même un peu avant, et le maître y travailla pendant quatre ans. Jusqu’en 1637 le retable orna l’église de l’Hôpital ; envoyé à Paris en 1794, rendu en 1815, il fut restauré en 1817, — non sans quelque dommage (taches brunâtres sur les figures du panneau principal,