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et laissèrent quelque trace dans la peinture septentrionale.

Cet apport étranger ne doit pas être oublié si l’on veut s’expliquer l’évolution accomplie au dernier quart du XVe siècle, pas plus qu’il ne faut négliger les miniaturistes fort brillans à Bruges et à Gand et dont le génie d’un Memlinc est tributaire. Bruges possédait une confrérie de librariers (enlumineurs, écrivains, marchands de livres, scribes, relieurs, maîtres d’école, etc.) et ses membres furent souvent employés par le duc Philippe et par le seigneur brugeois Louis de la Gruuthuuse, lequel fonda l’une des plus considérables bibliothèques du temps. Les miniaturistes célèbres de la corporation brugeoise étaient Louis Liédet, ou Lyedet, Guillaume Vrelant ou Vredelant, Maurice de Haac, Jean Paradis. La Chronique de Hainaut (Bibliothèque royale de Bruxelles) renferme des compositions de Liédet et de Vrelant ; par malheur, nous ignorons qui exécuta la miniature géniale de la première page où Philippe, accompagné de son fils Charolais, de seigneurs, de chanceliers, apparaît tel que le décrit le chroniqueur Chastellain : «... haut homme, droit comme un jonc... plus en os qu’en charnure. » Quels progrès depuis les temps où Jean de Bruges représentait Charles le Sage dans sa librairie du Louvre !

L’esprit de celui que Jean Lemaire de Belge qualifie de « prince d’enluminure, » Simon Marmion[1], se discerne dans les délicieux volets de retable de la chapelle du couvent des Sœurs noires : la Légende de sainte Ursule en huit scènes d’une finesse de tons qui va dans les lointains jusqu’à la plus fluide transparence. Les édifices sont fantaisistes ; les gestes anguleux des personnages ramènent aux archaïsmes d’un Jacques Daret ; mais une note de gaieté populaire se mêle au récit mystique et dans la première scène, — Agripinus, roi des Pictes, entouré de sa cour, — un singe est tranquillement occupé à épucer un chien. Memlinc a des traits semblables dans ses petites compositions synoptiques. La Châsse de l’Hôpital est postérieure à la Légende des Sœurs noires. C’est dire l’importance de cette Légende. L’attrait de cette dernière s’augmente de l’enchantement qu’opèrent le décor et la ferveur ambiantes. Après une visite aux Sœurs noires et avant d’aborder Memlinc, il fait bon rêver au quai voisin en réveillant dans sa mémoire les vers de Rodenbach :

  1. Cf. pour Simon Marmion notre article cité plus haut sur la Peinture wallonne.