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les Pollajuoli, les Lorenzo di Credi... On a pensé que la Mort de la Vierge du musée communal de Bruges (copie ancienne à la cathédrale Saint-Sauveur) avait été exécutée par Hugo van der Goes, après qu’il fut entré au couvent de Rouge-Cloitre, près de Bruxelles, où son génie sombra dans une terrible maladie mentale. C’est un tableau dont les glacis ont disparu à la suite d’une restauration (1865), en sorte que les draps violacés du lit de Marie, le vêtement bleu de la Vierge, les manteaux rouges, orangés, vineux des apôtres ont perdu de leur valeur originale. Mais voici l’œuvre d’un maitre tout moderne qui reproduit littéralement les êtres en touchant leur âme, qui anime tous ses personnages d’un même souffle spirituel. Ce n’est plus la paisible objectivité de Jean van Eyck ; c’est presque la sensibilité inquiète de nos temps. Marie est endormie d’un sommeil suave, mais ses yeux s’entr’ouvrent, comme avides de contempler les béatitudes éternelles. Faut-il mettre au compte de la folie naissante l’invention pathétique que révèlent les gestes, les visages, les attitudes des apôtres fébriles ? En tout cas, devant cette œuvre où la maîtrise du dessin égale la profondeur de l’émotion, le moine Ofhuys, par qui nous connaissons les dernières années du pauvre dément de Rouge-Cloitre, pouvait encore écrire « qu’on ne trouvait en ce temps-là personne qui, dans l’art de la peinture, fût l’égal du frère convers Hughes. » Celui-ci mourut en 1492 et fut enterré dans le cimetière de Rouge-Cloitre.

Son enseignement, combiné avec celui de Thierry Bouts, se continue chez des épigones — tels le peintre de la Légende de sainte Lucie (église Saint-Jacques) et l’auteur d’une Légende indéchiffrable ou plutôt indéchiffrée, conservée au musée de la Chapelle du Saint-Sang. Le tableau de Saint-Jacques est de 1480 ; dans la partie centrale, sainte Lucie parle à sa mère et fait entrer chez elle des pauvres, qui ont cette réalité populaire introduite dans l’art par van der Goes ; la comparution de la sainte devant le consul Paschasius fait plutôt penser a Bouts ; dans le fond de la scène de gauche, on aperçoit Bruges dominée par les tours de Saint-Sauveur et de Notre-Dame. Le tableau du Saint-Sang, comme celui de Saint-Jacques, a quelque chose de dur et de sombre qu’on dirait emprunté à l’école catalane. Des peintres d’Italie et d’Espagne venaient étudier en Flandre. Ce n’étaient pas tous de simples apprentis ; ils ne se sont pas contentés d’emprunter