Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/608

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

style inspire les débuts de Memlinc, et la cathédrale de Saint-Sauveur possède un Martyre de saint Hippolyte qui, s’il n’est de Bouts, est de son meilleur disciple, Le morceau capital de cette œuvre est celui des donateurs (Hippolyte de Berthoz et sa femme Elisabeth de Keverwick ?), agenouillés dans un beau paysage crépusculaire, plein d’une poésie fine, élégiaque et qui se retrouvera chez Memlinc. Ces donateurs sont si individualisés et si vivans qu’on les tient avec raison pour l’œuvre d’un autre artiste : Hugo van der Goes. Les mains charnues, les brocarts, les bijoux, les visages vus de trois quarts, tout résiste à l’analyse la plus rigoureuse, et les deux figures sont parmi les plus belles du XVe siècle. Le reste de l’œuvre est de Thierry Bouts, — ou de son meilleur disciple, ce maître de la perle du Brabant (peut-être le fils aîné de Bouts, Thierry II ?) à qui l’on assigne pour chef-d’œuvre une exquise Adoration des Rois de Munich.

Van der Goes, comme Roger van der Weyden, fut classé sans hésitation parmi les peintres brugeois par les chroniqueurs du XVIe siècle. Schilder van Brugghe, disent van Mander et Sanderus ; schilder van Gent, sommes-nous en droit de répondre en nous appuyant sur un document contemporain. Mais il s’en fallut de peu sans doute que van der Goes, dès ses débuts, ne s’installât à Bruges. Il travailla pendant dix jours et demi aux décorations du mariage de Charles le Téméraire avec Marguerite d’York et revint pour les fêtes célébrées à l’occasion de la réception solennelle de la femme du Téméraire, en qualité de comtesse de Flandre. On aime à croire que, dès ce moment, l’un de ses admirateurs fut Messer Tomaso Portinari, représentant des Médicis à Bruges. Une grande composition de van der Goes (Crucifiement ou Déposition de Croix, les renseignemens des chroniqueurs se contredisent quant au sujet) ornait le maitre-autel de Saint-Jacques et était peut-être bien un témoignage de la sûre munificence du Florentin. Le souvenir de cette œuvre se perpétue, croit-on, dans une série de Dépositions répandues en Belgique (un exemplaire aux Hospices de Bruges) et ailleurs. C’est pour enrichir d’un trésor inestimable la petite chapelle de Santa-Maria-Nuova à Florence, fondée en 1285 par son ancêtre direct Folco Portinari, père de la divine Béatrice, que Messer Tomaso fit commande à van der Goes du considérable triptyque de la Nativité, de cette tavola di Santa-Maria-di-Fiorenza devenue l’une des gloires des Offices et devant laquelle méditèrent les Ghirlandajo,