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L’aîné des deux frères ne semble pas mêlé à l’histoire de Bruges ; il est le fondateur de l’école de Gand et meurt dans la ville des Artevelde en 1426. Ses rapports avec la Cour de Bourgogne n’ont point laissé de trace. Les liens qui attachent Jean van Eyck à Philippe le Bon et à Bruges sont, au contraire, bien établis, et l’on sait que le grand prince d’Occident en toutes circonstances prodigue les attentions à son illustre peintre et « valet de chambre. » Le duc visite l’ « hostel » de l’artiste à Bruges et distribue de l’argent aux « varlets de Johannes Deyck ; » il réprimande ses receveurs d’avoir retenu la pension de son peintre ; il offre peu après six tasses d’argent au baptisement de l’enfant du maître et fait tenir le nouveau-né sur les fonts en son nom par le duc de Chargny. Des explorateurs d’archives ont révélé ces menues largesses que les chroniqueurs ordinaires de Mgr de Bourgogne ne prenaient pas la peine de relater. Le mécénat était fonction trop naturelle pour que les ducs s’en prévalussent devant l’histoire D’ailleurs, les peintres, si grands fussent-ils, restaient de petites gens, même un Jean van Eyck. Il avait été chargé d’aller peindre au Portugal le portrait de l’Infante Isabelle dont le duc briguait la main (1428-1429). Le Verbal du voyage nous est conservé en deux versions : portugaise et française. Il y est longuement question de Messires les ambassadeurs envoyés par le duc auprès du roi Jean, père de l’Infante ; on nous conte par le menu les tournois et fêtes auxquels la Gour portugaise les convie ; quant au maître, on le cite en passant : « Et avec ce lesdits ambassadeurs, par ung nommé maistre Jehan de Eyck, varlet de chambre de mondit seigneur de Bourgoingne et excellent maistre en art de peinture, firent peindre bien au vif la figure de madite dame l’Infante[1]. »

Au lendemain de ce voyage, le maître s’installa à Bruges, y acheta une maison, y acheva le polyptyque de l’Agneau, se maria, et devint père ; il mourut en 1441 après avoir vécu onze années de victorieuse maîtrise dans la grande commune flamande. Sa Madone van der Paele (1436) demeure l’essentielle parure du musée de Bruges qu’honorent pourtant des chefs-d’œuvre de Memlinc, de Gérard David, de Jean Prévost, de Pierre Pourbus. Le groupe de la Madone et de l’Enfant fut un thème cher au nouveau réalisme substitué définitivement à

  1. Cf. Verbal du voyage de Portugal, 2e registre aux Chartes. Archives de Belgique.