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débuts du siècle s’avère dans le génie de Jean van Eyck ; la mélancolie des destins finissans se lit dans la suavité de Memlinc. Les ducs bourguignons associent leur sort, semble-t-il, à celui de la ville, et leur fortune ne survit pas à celle de la cité. L’idéal monarchique des princes de Bourgogne s’oppose au particularisme routinier des bourgeois flamands. Mais Bruges est pour les ducs un séjour favori de faste, d’art, — et le cadre de leurs noces légitimes. Ils s’éteignent avec la ville. Hasard sans doute ! Fatalité qui rend plus saisissante la beauté bourguignonne de la capitale des Flandres. On respire le XVe siècle bourguignon à Bruges, comme on respire le quattrocento médicéen à Florence.

Au début du XVe siècle, les frères van Eyck parurent qui assignèrent à la peinture septentrionale une place unique et dotèrent l’art chrétien de son plus subtil moyen d’expression. On a qualifié leur perfectionnement de la peinture à l’huile de procédé brugeois[1], tant Bruges est accapareuse de la parure artistique de son temps. La peinture à olle allait éclipser les arts d’entaillure et d’enluminure si brillans à la fin du XIVe siècle. Sur des fonds plâtreux, soigneusement polis et imperméabilisés, très souvent recouverts de feuilles d’or, on étendit des couleurs mélangées à un vernis huileux, parfaitement siccatif. Et désormais les peintres purent étaler sur leurs trencoirs en bois ou palettes, des matières propres à reproduire toutes les merveilles du monde. Un petit tableau de la cathédrale de Saint-Sauveur a pris rang dans le catalogue de Hubert van Eyck : Le Christ entre la Vierge et un donateur. D’une expression suave, d’une exécution moelleuse, le Christ entouré de quatre angelots est une fleur suprême de l’idéalisme gothique. Les têtes de la Vierge et du donateur, leurs mains, sont de la plus caressante douceur. Tout en interrogeant la nature, l’auteur s’accommode de formules archaïques : phylactères, robes curvilignes des anges, absence de perspective dans le carrelage de l’avant-plan. Autour de la peinture de Saint-Sauveur se groupent quelques œuvres attribuées également à Hubert van Eyck et dans lesquelles reparaît ce Christ, si glorieusement doux dans la mort, dérivé de l’art giottesque, introduit d’abord par Hubert dans ses miniatures sans rivales, puis, croit-on, dans ses tableaux.

  1. Cf. Dalbon, Les Origines de la peinture à l’huile. Perrin, 1904, p. 147.