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Flagellans, Danseurs, Begards, Lollards compliquent les luttes de classes ; la Flandre pouvait périr dans l’anarchie, et voici qu’au contraire, avec l’aide des dynastes bourguignons, ces passions positives, ce mysticisme, cette richesse bourgeoise s’amalgament en substance immortelle dans les chefs-d’œuvre du XVe siècle.

Dès le milieu du XIVe siècle, Bruges avait envoyé à la Cour de France un maître auquel Charles V conféra le titre de pictor regis en 1372 : c’est Jean Bandol ou Baudol, dit Johannès de Brugis, Jehan ou Hennequin de Bruges, désigné comme l’un des inspirateurs du naturalisme septentrional pour avoir exécuté sur le premier feuillet d’une bible historiée (Musée Westreenen de La Haye) un portrait de son maître, de la laideur la plus ressemblante[1]. A Bruges même, les pingers et scilders (peintres de madones, saints, phylactères, armoiries, emblèmes) les huuscrivers et beeldescrivers (peintres de fresques, de tableaux, miniaturistes, héraldistes) venaient du Limbourg, de la Hollande, des bords du Rhin, de la Flandre wallonne. Le pouvoir tentaculaire de Bruges commence à s’exercer. De quelle valeur étaient les maîtres attirés par la cité ? Il nous est facile de dire qu’aucune frontière ne séparait l’art du métier, que les artistes se confondaient avec les artisans. Mais quel langage l’art balbutiait-il ?

Un portrait supposé de Saint Louis peint à la fresque dans le déambulatoire de l’église Notre-Dame, et le petit retable de la corporation des Tanneurs conservé à la cathédrale Saint-Sauveur, sont les uniques vestiges de la peinture brugeoise du XIVe siècle. Le Saint Louis présumé est debout tenant le sceptre d’une main, un livre de l’autre. Les couleurs bleues et rouges des vêtemens s’effacent et s’écaillent de même que les feuillages du fond. L’ovale des yeux s’allonge en amande, les doigts se recroquevillent en boucles bizarres, la hanche droite s’exagère en courbe démesurée, le manteau se complique en volutes multiples sur l’épaule gauche et sous la main qui tient le sceptre. Le peintre, — comme tous les septentrionaux contemporains, — est soumis aux doctrines des ateliers parisiens et s’enthousiasme pour les mièvreries de l’idéal gothique finissant. Son Saint Louis est un témoin de la Francisation des Flandres au milieu du XIVe siècle ; il doit dater des environs de 1340.

Le peintre du retable des Tanneurs n’est plus l’esclave de la

  1. Paul Mantz, La Peinture française, p. 136.