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journalistes du royaume, qu’elle voit sans cesse chez elle, m’a assuré que ces gens, tout prudens qu’ils étaient avant la Révolution, en perdaient la tête maintenant ; ils sont fous de leur succès et gâtent eux-mêmes leur propre ouvrage.

— Je ne me gêne pas avec eux, je leur ai dit mon opinion, je leur ai dit qu’ils ne savent plus ce qu’ils veulent et que leurs journaux n’avaient plus le sens commun : « Vous voulez défendre la Charte et vous la détruisez vous-mêmes ; sous Charles X, elle pouvait être violée, cela prouve qu’il y en avait une. Philippe Ier ne pourra jamais la violer parce qu’il n’y a plus de Charte. » Le jour où j’avais cette conversation avec ces messieurs, continua Mme Merlin, le chef des rédacteurs du Figaro me montra quantité de lettres qu’on avait trouvées dans l’appartement de Madame. Cette correspondance était fort compromettante pour Madame, et ces messieurs voulaient à toute force la publier. Je parvins cependant à leur prouver l’indignité d’un semblable projet.

Madame, ce me semble, est très vulnérable lorsqu’il s’agit de lettres. Lorsque la nouvelle du pillage des Tuileries arriva à Saint-Cloud, Madame en perdit tout à fait la tête ; elle pleura, elle ne put cacher son agitation, son trouble ; enfin elle exprima les plus vives inquiétudes sur le sort d’une cassette qu’elle disait avoir laissée dans son appartement. Un des gardes du corps s’offrit à la rapporter à Son Altesse Royale, si elle voulait bien lui en indiquer la place. Il s’en fallut de peu que Madame n’embrassât ce brave garde du corps. Muni de ses instructions il se déguisa en charbonnier et se rendit au château. On le laissa entrer sans obstacles, il trouva la cassette, la prit sous son bras, la cacha dans son sac et courut pour atteindre la porte. Mais on ne laissait sortir personne sans une visitation préalable.

— Si on me prend la cassette, pensa-t-il, je suis un homme perdu.

La fuite était la seule chance de salut. Il prit donc son élan, donna des coups de poing à qui voulait l’arrêter et il passa heureusement sans qu’on put l’atteindre. Mais on le poursuivait toujours ; il traversa en courant la place du Carrousel et arriva jusqu’au quai, se voyant au moment d’être atteint. Mais loin d’en perdre la tête, il jeta la cassette dans la Seine. Peu de secondes après, il est pris et fouillé, mais ne trouvant rien sur