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la famille royale. Il en est tout triste, tout accablé.

— Ce cortège, me disait-il, avait l’air d’un convoi. Madame la Dauphine, lorsqu’elle était avec nous autres, pleurait à fendre le cœur. C’étaient des cris de désespoir, mais en passant par les villes et les villages, elle reprenait sa dignité ordinaire. Madame était dans son costume d’homme. Il fait toujours froid sur les côtes du grand Océan, elle avait donc grand besoin de ce pantalon et de la blouse qu’elle s’est fait faire dans un village.

Mme de Gontaut est la seule personne de toute la Cour qui n’ait pas perdu la tête ; elle était toujours de bon conseil ; elle expliquait à Mademoiselle tout ce qui se passait autour d’elle ; un jour, elle lui a dit :

— Mademoiselle aura soin de plier elle-même sa serviette, parce que nous n’en avons pas d’autres pour demain.

Effectivement, on était obligé de s’arrêter quelquefois deux jours dans un mauvais petit endroit pour faire laver les chemises des princesses et des princes, parce qu’ils n’en avaient point pour changer. Le duc de Luxembourg, un des capitaines des gardes du Roi et M. de Girardin, premier veneur, veulent accompagner le Roi jusqu’à l’endroit de son établissement. Ce dernier surtout a poussé son attachement pour son maitre jusqu’à lui apporter 500 000 francs qu’il avait épargnés sur la somme destinée aux chasses.

— Les laboureurs qui voyaient passer notre triste cortège, me dit le prince de Bauffremont, avaient l’air stupéfaits, émus ; les ustensiles leur tombaient des mains, ils étaient leur chapeau avec respect et nous regardaient avec attendrissement. Madame la Dauphine, le Roi et Madame ne permirent pas à MM. Schonen et maréchal Maison, commissaires que le lieutenant du royaume leur avait envoyés, de se montrer à leurs yeux ; il n’y a que le Dauphin qui leur parla. En arrivant à Cherbourg, le duc de Polignac s’approcha de la voiture où étaient ses neveux, les enfans du prince Jules. Lorsqu’il ouvrit la portière, ces malheureux enfans poussèrent des cris lamentables : ils croyaient qu’on allait les assassiner. Ils avaient été tout le temps enfermés dans une berline avec les stores baissés ; on les traitait comme des pestiférés, tant M. de Polignac est en exécration, même parmi les personnes de la Cour.

Au moment de l’embarquement parmi les gardes du corps