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telle adresse, une telle prévoyance que cela surprenait même ceux qui désiraient le plus cette marche des affaires. Les arbres des Champs-Elysées et des boulevards, ont été abattus pour en faire des barricades. Pendant plusieurs heures de suite, la troupe a tiré dans les croisées des maisons. Un jeune Anglais que nous avons vu ici il y a cinq jours, qui était venu de Brighton pour voir Dieppe, et avait eu la malheureuse idée d’aller à Paris, y a trouvé ainsi la mort dans un hôtel garni de la rue de Richelieu. M. de Polignac et tous les autres ministres sont encore toujours à l’hôtel des Affaires étrangères avec canons devant la porte. Mme de Polignac et ses enfans sont à la campagne à quelques lieues de Paris. Les ambassadeurs avec leurs secrétaires sont aussi chez eux sans pouvoir bouger.

Les billets de banque sont en ce moment hors de tout cours. J’ai voulu en faire changer un de 500 francs et on n’a pas voulu m’en donner cinq sous :

— Ce n’est qu’un chiffon, disait-on à notre valet de chambre.


Dieppe, 31 juillet, 11 heures matin. — Point de lettres, point de courrier ce matin ; les seules nouvelles qui circulent aujourd’hui sont puisées dans le détestable Journal de Rouen, qui déjà parle d’échaufaud et d’un Moniteur publié à Paris par un gouvernement provisoire.

On dit, et c’est même malheureusement fort probable, que le maréchal Marmont a été tué pendant les massacres par un élève de l’École Polytechnique. Le duc de Choiseul, Casimir Perier et Laffitte sont allés, dit-on, à Saint-Cloud pour traiter avec le Roi. Le parti révolutionnaire croit que le Roi fera toutes les concessions possibles pour se maintenir sur le trône ; les royalistes disent que, si cela arrive, le Roi est perdu, c’est mon opinion aussi. Il vaut mieux pour lui qu’il abdique en faveur du Duc de Bordeaux et qu’il nomme un régent.

Au reste, tout va absolument comme dans la première révolution, mais avec plus de rapidité et d’une manière plus cruelle, plus horrible encore. Il est donc à craindre que le Roi ne s’engage dans la même voie que Louis XVI. On croit qu’il y a eu six mille hommes tués dans Paris ; les troupes étaient déjà sorties de cette malheureuse ville que l’on s’égorgeait encore. On a vu des femmes bien mises arracher le pavé des rues pour le lancer des toits sur les soldats du Roi. Les mal pensans, en