Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/583

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Clermont-Tonnerre y est venu de Paris, sans troupes et avec l’ordre de laisser paraître le Journal de Rouen, ce qui prouve qu’on est obligé de faire des concessions.


10 heures. — Je viens de la terrasse ; deux messieurs du Trésor anglais viennent d’arriver, ils nous ont donné des détails qui font frémir. La ville de Paris est cernée ; on ne laisse plus ni sortir en voiture, ni entrer qui que ce soit. Un vague affreux règne en ce moment sur la destinée de cette malheureuse capitale. Les uns disent que le Roi avait envoyé des ordres le 29, à cinq heures du matin, pour faire cesser le carnage qui durait déjà depuis le 27, à trois heures après midi, où ces horreurs commencèrent, et que Sa Majesté voulait prendre la ville par la faim ; d’après d’autres versions, le Roi, après avoir tenu conseil, avait décidé de faire des concessions. Si c’est vrai, quel exemple pour tous les peuples de l’Europe ! Espérons que le Roi n’est pas encore réduit à cette extrémité ; il ferait mieux, ce me semble, d’abdiquer.

Presque toutes les rues de la rive droite de la Seine sont dépavées, c’est-à-dire le faubourg Saint-Honoré avec le quartier de la Chaussée d’Antin, les boulevards, le faubourg Saint-Jacques, Saint-Denis et Saint-Antoine ; la populace s’était armée de pavés et, de tous les étages, une grêle meurtrière tombait sur les malheureuses troupes du Roi ; un régiment des lanciers de la garde est anéanti, de même tous les régimens suisses qui étaient à Paris. Cette ville est, à ce que l’on assure, comme un champ de bataille après le combat le plus horrible. Les libéraux chassés deux fois de l’Hôtel de Ville sont parvenus à s’en emparer pour la troisième fois. Tous les gendarmes pris ont été pendus aux lanternes. Les gens que les gardes nationaux rencontraient dans les rues étaient forcés de se joindre à eux et s’ils résistaient, on les achevait. On dit que le drapeau tricolore flotte sur le pavillon de l’Horloge.

Le Duc d’Orléans est à Neuilly.

Des élèves de l’École Polytechnique sont parvenus, je ne sais pas comment, à s’emparer de quelques pièces d’artillerie et en font maintenant le plus diabolique usage, à la tête de la garde nationale. Mlle de Laborde, femme archi-libérale et tante de Mme Alfred de Noailles, se trouve à Paris en ce moment ; elle écrit à sa nièce que la cause des libéraux était menée avec une