Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/582

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Dieppe, 30 juillet. — Ce matin, je suis sorti à 9 heures pour aller à la terrasse ; j’y ai trouvé Gérald de Rohan, Biron et le frère cadet des Bon gars ; les dames de ma connaissance étaient à prendre leur bain de mer ; nous parlâmes des tristes événemens du jour, on ne pense plus à autre chose ! Cependant la société depuis hier a changé d’aspect, les opinions sont plus tranchées et on est beaucoup à s’observer ; chacun regarde avec méfiance autour de lui, on a peur de se compromettre.

— Eh bien ! Gérald, dis-je à Rohan, n’allez-vous pas à votre régiment ?

— Que voulez-vous que j’y fasse ? je reste ici, à moins que je reçoive des ordres de mon colonel.

— Et vous, comte Biron ? J’entends que votre régiment est en marche sur Paris.

— Oui, comte, mais précisément pour cela, je ne saurais où le rejoindre.

Le Roi ne peut compter que sur bien peu de personnes. En voici une preuve. Faisant hier quelques visites avec l’ambassadeur, nous allâmes aussi chez Mme Alfred de Noailles ; elle n’y était point ; mais comme il n’y avait pas de domestique non plus, nous montons et nous trouvons dans le salon Mlle Cécile :

— Savez-vous les terribles nouvelles que nous avons eues de Paris ? Les canons grondent dans la ville, il y a massacre général ; c’est bien triste ; enfin lorsque toute la France est contre une famille, il faut bien qu’elle cède !

Ce sont les propres paroles de Mlle Cécile ; il faut avoir seize ans pour les prononcer devant l’ambassadeur d’Autriche. Sa mère ne l’aurait pas dit devant nous ; mais cela n’empêche pas qu’elle le pense aussi bien que sa fille.

Jusqu’à présent, Rouen est tranquille, on est parvenu à mettre la presse hors d’état de nuire. Malgré cela, le Journal de Rouen a reparu. Ces gens, prévoyant qu’ils ne pourraient lutter longtemps avec la gendarmerie, avaient eu soin d’imprimer d’avance trois éditions qui sont remplies de mensonges afin d’alarmer la province. Dieppe jouit encore de la plus parfaite tranquillité.


4 heures. — La poste ne nous est point arrivée, nous sommes donc sans nouvelles. Nous apprenons par la diligence de Rouen que cette ville est tranquille ; mais ce qui m’attriste, c’est que