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soir. On craignait cependant qu’il n’y eût quelques troubles pendant la nuit, surtout dans les rues où se trouvent les hôtels des ministres. Déjà, dans la journée, on avait cassé quelques vitres et insulté la voiture du prince de Polignac, mais ces attroupemens ont été très facilement dissipés.

Sur la terrasse, M. de Léon vint à moi en me disant que dans ce moment arrivait un valet de chambre de Mme de Biron, qui est parti de Paris le 26, à huit heures, et qui prétend que toute la capitale est en révolte, que les rues étaient encombrées de monde, qu’on avait été même obligé de tirer sur le peuple. Je crois, moi, que dans tout cela il y a beaucoup d’exagération ; cependant, ces bruits vrais ou faux nous inquiètent tous beaucoup.

M. de Polignac, après qu’une de ses voitures eut été assaillie par la populace, et couverte de boue, qu’on eut lancé des pierres sur les domestiques, que les vitres de sa voiture eurent été brisées, M. de Polignac écrivit une lettre au Préfet de police, l’invitant à prendre les mesures nécessaires pour empêcher de pareils excès ; mais il n’y eut pas moyen de faire parvenir cette lettre à la police. Les domestiques, tout effrayés du traitement que venaient d’éprouver leurs camarades, ne voulurent point s’en charger.

— Si c’est ainsi, leur dit M. de Polignac, j’irai moi-même.

Et il l’exécuta. Heureusement, il ne fut point reconnu, sans quoi c’en aurait été fait de lui ; la populace, montée comme elle l’est en ce moment, l’aurait mis en lambeaux. Cependant, non content d’avoir remis sa lettre, il parcourut à pied toutes les rues où il y avait des attroupemens, c’est-à-dire au Palais-Royal, à la place des Victoires, dans les rues Saint-Honoré, de Rivoli, etc., et revint sain et sauf chez lui où il trouva tous ses gens en larmes ; ils croyaient qu’il ne pouvait rentrer. Les fabricans qui sont dans l’opposition ont congédié leurs ouvriers pour augmenter le nombre des mécontens ; malheureusement, cela ne leur réussira que trop bien ; mais aussi seront-ils autant de victimes, car, cette fois-ci, il parait qu’on a pris d’avance des mesures assez fortes pour réprimer ces perturbateurs du repos public. Ce ne sera pas comme sous Louis XVI, qui, en voulant épargner quelques misérables, s’est livré lui-même, sa dynastie, tous ses amis et toute l’Europe à la fureur d’un peuple effréné. Il n’y a point à se faire illusion, nous revoilà à la veille d’une