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Ce même jour parut dans l’Universel un article de M. de Chateaubriand qui était une espèce de profession de foi. A l’en croire, il aurait changé subitement d’opinion ; il serait devenu ardent royaliste, se déclarant contre la licence de la presse et prouvant comme deux et deux font quatre, qu’une nouvelle loi était absolument nécessaire. L’étonnement a été général ; l’ambassadeur en fit compliment au ministre, qui l’accepta avec plaisir, tout en disant qu’il n’avait aucune connaissance de cet article. Cependant, notre cousin descendit chez la princesse de Polignac pour lui faire visite et pour y trouver le prince Esterhazy[1], auquel il avait donné rendez-vous. Il fut encore question de cet article et les deux ambassadeurs exprimèrent leur étonnement de ce que le ministre des Affaires étrangères ne le connût pas.

— Si vous voulez prendre patience un instant, leur dit la princesse de Polignac, je vous donnerai là-dessus les éclaircissemens que vous désirez. Je vais faire venir un jeune homme de nos bureaux, qui est rédacteur à l’Universel.

Il ne tarda point à arriver ; on le questionne et il déclare que le tout n’était autre chose qu’une mystification ; que l’article était bien de M. de Chateaubriand, mais de l’année 1816 ou 17, qu’on y avait simplement change les noms propres et les dates.

Jamais M. de Chateaubriand n’a été plus cruellement joué ; tout le monde, jusqu’à ses amis les plus intimes, a été la dupe de cette mauvaise plaisanterie, car certes, c’en est une bien cruelle. Je n’aime pas M. de Chateaubriand, mais je désire que justice se fasse également pour tout le monde ; il n’est pas loyal de falsifier un acte, car, dans ce moment, M. de Chateaubriand ne pense plus ainsi qu’il pensait dans le temps où il a écrit cet article ; il ne peut l’avouer aujourd’hui, tant pis pour lui ; mais cela ne donne pas le droit aux autres de l’humilier publiquement.

Le prince Esterhazy a été pendant son séjour à Paris de la meilleure humeur du monde ; c’étaient des éclats de rire, des shake hands, des embrassemens de tous côtés ; il a eu surtout beaucoup de bonté pour moi et m’a invité à plusieurs reprises à venir le voir à Londres. Cet ambassadeur a quitté Paris la veille de notre départ pour ici et après un diner qu’il fit chez nous

  1. Ambassadeur d’Autriche à Londres.