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décès du roi d’Angleterre George IV ; il passa le 26, à trois heures un quart du matin. Cet événement, bien que l’on s’y attendit depuis longtemps, a fait quelque sensation. C’est une perte pour l’Autriche, le feu Roi aimait beaucoup notre Empereur ; le duc de Clarence nous aimait moins peut-être ; nous aimera-t-il davantage comme roi Guillaume d’Angleterre. Si le nouveau Roi change son Cabinet, comme on le dit, ce ne sera ni agréable, ni utile au ministère Polignac.


Dieppe, 15 juillet. — Les derniers jours avant notre départ pour Dieppe, je fus si occupé qu’il me fut impossible de continuer mon Journal. Le 7 et le 8, tout Paris fut en alarme, on croyait l’armée perdue. L’amiral Duperré, dans un rapport, déclarait que la baie où il se trouvait n’était pas tenable, ayant le vent contraire, qu’il serait par conséquent obligé d’abandonner cette position. En ce cas, l’armée eût été sans vivres, sans munitions de guerre, ce qui aurait été d’autant plus fâcheux que des milliers d’Arabes et de Bédouins accouraient de tous côtés pour fondre sur l’armée française. Ces bruits bouleversèrent toutes les têtes. Le 8, j’ai passé ma soirée chez Mlle e de Bellissen, femme très bien pensante et réunissant chez elle tout ce qu’il y a de plus royaliste au monde. Le duc de Rauzan en fut, et c’est même lui qui vint nous détailler avec une figure longue d’un aune tout ce qui est arrivé à l’armée et surtout ce qui lui arrivera encore.

— Le royalisme, dit-il, est perdu et si nos soldats périssent à Alger, ma foi, le Roi n’aura rien de mieux à faire que de s’en aller ; nous ne pouvons plus le défendre, les Bourbons n’ont aucun parti. M. de Polignac ne pourra défendre le Roi contre les libéraux, c’est-à-dire contre l’opinion de toute la France, car enfin, il faut nous l’avouer, toute la société s’est prononcée dans ce sens, et si M. de Polignac veut lutter contre elle en restant à sa place, il mériterait d’être pendu.

Les fonds publics, sur les bruits désastreux venus d’Alger, ont baissé de 2 p. 100. Encore le 9 juillet, à dix heures du matin, la consternation dans Paris a été générale. Mais, à deux heures, les canons des Invalides nous annoncèrent à coups redoublés la prise d’Alger. De ce moment, tout a changé de face ; M. de Rauzan, qui la veille voulait pendre M. de Polignac, fut le premier à complimenter ce ministre ; l’ambassadeur l’y trouva à midi.