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Un officier anglais donnant le bras à deux de ses cousines se trouva en même temps que moi sur la galerie ; il se distingua parmi nous autres curieux par sa curiosité au point de se faire remarquer du peuple masse dans le jardin. Mille voix font chorus en criant : A bas l’Anglais ! à bas l’Anglais ! et il fut sifflé et hué ; cette démonstration peu bienveillante le rendit furieux et il n’en fut que plus comique.

— Il ne vous reste rien de mieux à faire, monsieur, lui dis-je, que de rentrer dans le palais, et nous serons siffles tous en masse, ce qui est moins désagréable parce qu’on se trouve en bonne compagnie ; mais, si vous essayez de braver le bon peuple de Paris, il n’en finira pas jusqu’à demain.

Chemin faisant, je rencontrai à l’un des buffets qui donnait sur la terrasse Mme de Jourgue, une des dames de la Duchesse de Berry et sa sœur. Mme de Pisieux, filles de feu Mme de Montboissier, fille de M. de Malesherbes. Toute cette famille est un véritable dépôt d’esprit ; mais ces dames n’épargnent pas toujours leur prochain. Mme de Pisieux donnant le bras à son gendre, le prince d’Hénin, nous aperçoit, vient à nous et nous fait mille petites remarques un peu méchantes, mais fort spirituelles. Nous étions à en rire lorsqu’un des valets de pied s’approche de nous et dit d’une manière solennelle :

— Messieurs, mesdames, voilà un monsieur qui a son chapeau sur la tête ; que dois-je faire ?

À cette apostrophe, Mme de Pisieux prend la parole et lui dit de la manière la plus sérieuse du monde :

— Comment ! vous ne savez pas que les grands d’Espagne ont le droit de se couvrir devant le Roi même, à plus forte raison en présence de quelques meringues ; sans aucun doute, ce monsieur est grand d’Espagne :

Le valet de pied fut satisfait et laissa en repos son prétendu grand d’Espagne. Nous en rimes comme des fous.


8 juin. — Mme de Bourmont est fort en peine de la flotte ; une brise contraire la retient toujours à Palma. Il ne fait que pleuvoir cette année ; c’est un été qui ne nous promet pas un très agréable séjour à Dieppe ; au moins, nous trouverons-nous en nombre, car je ne sais qui n’y va pas cette année.

Il n’y a pas de misanthropie qui tienne à l’accueil qu’on nous a fait à Maintenon ; le duc et la duchesse de Noailles,