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vint me dire qu’il y avait tumulte au jardin du Palais, qu’on se jetait des chaises ardentes à la tête. La contredanse finie, je m’y rends. Qu’on se figure une immense place remplie de monde qui se presse, se foule ; c’est le mouvement de la mer orageuse, mais plus effrayant encore, car toutes ces vagues vivantes sont animées par la plus horrible malveillance. A bas les habits galonnés ; à bas les aristocrates ! crie-t-on de tous les côtés. Cependant un grand feu s’élève autour de la statue d’Apollon, on le nourrit avec des chaises, on les y jette les unes après les autres ; déjà les flammes s’élèvent plus haut que les combles du Palais-Royal. Quel spectacle ! Cette clarté effrayante, cette fumée qui monte en tourbillon jusqu’aux nues, ces murmures, ces cris des femmes qu’on écrase, tout cela dans ce palais superbe, garni de lampions de toutes les couleurs, tout illuminé intérieurement, au milieu d’une fête ! Ces cris de la révolte se marient aux sons de la musique, des contredanses et des valses ; plusieurs vieux Français, témoins des scènes de l’année 91 et 92 et qui se trouvaient en même temps que moi sur cette galerie, en frémirent ; ils cherchèrent en vain à cacher leur terreur ; elle était peinte sur leurs figures. Cette frayeur se communiqua aux autres personnes présentes, et point de troupes, point de gendarmes n’arrivent.

Comme dans la Révolution, un homme monte sur une tribune faite avec des planches qui avaient servi pour l’illumination du jardin ; cet homme commence à haranguer le peuple ; mais il ne peut se faire entendre, le tumulte devient plus grand de seconde en seconde. Enfin quelques gendarmes arrivent. Mais comment contenir une foule aussi immense ? Aussi sont-ils bousculés, poussés, des débris ardens de chaises, des lampes allumées leur volent à la tête et les inondent de suif et d’huile bouillante ; bientôt, ils sont séparés les uns des autres, et le peuple acharné parvient à désarmer un de ces malheureux. Il est jeté par terre, foulé aux pieds, rossé, abimé ; on l’aurait achevé sans doute ; mais, heureusement pour lui, la garde d’honneur du Palais-Royal vint à son secours ; on l’emporte sans connaissance. D’autres troupes arrivent presque en même temps avec la garde d’honneur et parvinrent bientôt à déblayer tout le jardin. Sept ou huit des principaux meneurs sont arrêtés, le harangueur en tête, qui se trouve être rédacteur d’une feuille archi-libérale ou révolutionnaire.