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langue française, à la tradition française, peut-être, demain, à la culture française.

Les Canadiens français avaient, après la séparation, un premier devoir : vivre, durer, multiplier. Ce devoir, ils l’ont rempli, et ils en ont rempli un autre par surcroît : fidèles au souvenir de la patrie d’origine, ils ont gardé au cœur le culte de leur passé orphelin. Le peuple canadien est, peut-être, de tous les peuples, celui qui a le plus de mémoire. Il ne veut pas s’arracher du cœur les fibres qui ont formé son être. Ses yeux restent tournés en arrière, et pourtant, ce peuple est le plus jeune des peuples ; l’avenir lui appartient.

Dans la société qu’il forme avec l’élément anglo-saxon, le Canadien français ne se laisse pas absorber ; il garde ses dons originaires, ses qualités et ses défauts bien caractérisés et tranchés. Dans la sylve ou sur la plaine, il est défricheur, bûcheron, fermier, paysan. A la ville, il est légiste, médecin, homme d’éloquence, habile et souple détenteur des idées, né pour le pouvoir. Urbain ou paysan, il est adroit et brave ; en général, moins entreprenant dans les affaires que son voisin l’Anglo-Saxon, il tient une place proportionnellement plus considérable dans les affaires publiques. Il s’honore d’avoir vu naître et grandir la renommée mondiale de sir Wilfrid Laurier.

Le Canadien français est, dans sa grande masse, fortement attaché à l’Eglise romaine. Dans l’Ouest, le progrès catholique accompagne celui de la colonisation : « L’Ouest entier n’avait pas un prêtre catholique en 1817 ; en 1845, il y avait six prêtres : il y a, aujourd’hui, deux archidiocèses avec cinq suffragans ; et le seul diocèse de Saint-Boniface compte (en 1907), 205 prêtres, 93 églises, 87 218 fidèles[1]. » Il s’agit, comme on le voit, d’un puissant instrument, non seulement d’évangélisation, mais de civilisation. Le catholicisme conquérant est canadien français ; il est donc à demi français.

Voilà de ces faits dont la vigilance française ne peut pas se désintéresser. Les progrès de l’Islam nous touchent en Afrique ; combien autrement ceux du catholicisme en Amérique !

Le catholicisme canadien, travaillé par une propagande des plus actives, se porterait, parfois, à desserrer les liens qui l’attachent, traditionnellement, à la France. Les lois récentes,

  1. L’Abbé Klein, l’Amérique de demain.