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l’éveille. Alors elle sort de l’ombre et elle devient d’Idée.

L’Idée exprimée est une révélation de l’Idéal, c’est-à-dire de ce qui est général et éternel. Il n’est pas un esprit qui, dans la sphère d’activité, de la plus haute à la plus modeste, ne tende à l’Idée, ne rende un hommage, bien souvent inconscient, à la puissance déterminante de l’Idée. On dit, du plus humble artisan, qu’il a de l’idée : cela veut dire qu’il est capable d’une certaine invention et d’une certaine généralisation. Dans toute société, la hiérarchie se fait entre les personnes et les professions selon qu’elles s’approchent plus ou moins de l’Idée. Or, cette hiérarchie, qui existe entre individus, détermine aussi les rangs entre les peuples ; ils occupent une place plus ou moins haute selon qu’ils se consacrent, avec plus ou moins d’énergie et de succès, à la découverte de l’expression, c’est-à-dire de l’Idée.

Il faut, aux peuples, un Idéal ; il leur faut une occupation noble ; il leur faut un objectif désintéressé. La perpétuelle élaboration de la pensée scientifique, littéraire, artistique est l’aboutissant naturel de tout effort humain. Quand le laboureur a labouré, quand le chasseur a chassé, quand le tisserand a tissé, il s’assoit devant sa maison et il rêve : c’est l’heure féconde où il vit sa vie.

Le Français ingénieux, actif, fils d’une vieille race et d’une vieille civilisation, se complaît à ce rêve et à cette recherche. La puissante production intellectuelle de la France, ininterrompue depuis de longs siècles, ne s’explique que par l’élaboration profonde et silencieuse qui se poursuit, sans cesse, dans la masse de la nation. Le « tour de main » de l’artisan, le savoir-faire de l’amuseur public (que les anciens appelaient trouveur ou trouvère), l’application à demi somnolente du petit bourgeois repassant ses classiques, la discussion littéraire qui s’engage sous l’orme du mail, tout sert. La nation « se cultive » par un continuel exercice ; elle cherche la pureté, la qualité, le fini ; elle critique ses fournisseurs et ses maîtres, elle se critique elle-même. Les débats portant sur l’expression (fût-ce de simples questions d’orthographe) la passionnent parce que ce sont des épreuves de précision. Elle juge, en ces matières, avec une extrême délicatesse ; elle soumet toutes les manifestations de l’esprit au contrôle de la réflexion, de la règle, de la raison.

Cet effort intellectuel est aussi un effort moral. S’élever vers