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le plus précieux que la France pourrait donner à l’Amérique.

Les vastes territoires, les richesses inexploitées, l’effort nécessaire pour aborder de pareilles tâches, surtendent le corps et le cœur de l’homme. Muscles et nerfs claquent à ce régime. L’heure viendra bientôt où, en Amérique même, l’œuvre sera assez avancée pour que l’entreprise d’exploitation et d’enrichissement ne soit plus l’occupation principale d’une grande civilisation, où il paraîtra bon, utile, raisonnable de jouir de la vie après s’être assuré les moyens de vivre. Alors, les yeux se tourneront d’eux-mêmes vers la France.

Peut-être s’apercevra-t-on qu’un certain emploi de l’activité française, — assez facilement tourné en raillerie au dehors, — a ses raisons profondes dans une longue expérience de la vie civilisée. Le culte des choses de l’esprit, le goût littéraire, l’activité artistique signalent, non les âges de décadence, mais les périodes de noble et pleine efflorescence. Les nations qui ont laissé quelque trace dans la mémoire des hommes et vers lesquelles s’élève encore la gratitude des siècles, sont arrivées, après de longs efforts, à cet épanouissement. Les monumens qu’ils ont élevés témoignent pour elles. Les puissantes cités marchandes de l’antiquité, Tyr, Carthage, ne sont plus que des noms ; seules, les civilisations à large développement scientifique, artistique, littéraire ont été vraiment grandes. Celles-là se sont attachées à la vraie réalité, non à ce qui passe, mais à ce qui demeure.

Ce qui demeure, c’est l’Idée ou plutôt l’expression de l’Idée. Une « expression » claire et définitive, faisant saillir la pensée, c’est la seule chose humaine qui soit au-dessus de l’humanité et qui participe de l’éternité. Une loi physique ou mathématique arrachée au secret de la nature, une observation psychologique arrachée au secret de l’âme, une harmonie esthétique arrachée au secret du nombre, cela seul ajoute un appoint indestructible à l’acquis des siècles. Newton exprime la loi de chute des corps et il explique ainsi la mécanique de l’univers. Descartes dit : « Je pense, donc je suis, » et il fonde la philosophie de la raison ; un constructeur inconnu découvre le principe de la voûte sur croisée d’ogive et il formule les règles d’une architecture qui ajoute à la beauté de la créations

Découvrir, construire, philosopher, c’est exprimer. La notion dort confuse au fond de l’esprit, jusqu’à ce que l’éclair de l’expression