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dans les rapports sociaux ? N’aperçoit-on pas le souci constant de l’équilibre entre tous les facteurs de l’existence nationale ?

Le principe supérieur est la permanence, la durée, la survie ; la famille importe plus que l’individu et la race plus que la famille. Les héritiers légitimes sont coexistans, en quelque sorte, à la propriété : ils « naissent » avec elle et ont un droit sur elle, dès qu’elle apparaît. Du fait qu’un homme produit, il crée, d’avance, une part pour les autres, pour ceux qu’il ne connaîtra pas. Singulière prévenance de la société actuelle à l’égard de la société future. L’homme ne peut pas disposer même de ce qu’il a gagné, même de ce qu’il a créé, sans réserver quelque chose à la série des générations ; car il ne peut pas se détacher d’elle ; elle l’a aidé, par le simple fait qu’elle existe ; il ne peut pas substituer sa propre volonté à la loi des mutations et des transmissions, telle qu’elle est inscrite dans le code promulgué avant lui et auquel il adhère par sa naissance même. Limitation du droit de tester, pas de mainmorte, pas de privilège masculin (dans le pays de la loi salique !) pas de droit d’aînesse, pas de substitution, tout tend à susciter l’activité constante des générations les unes après les autres, sans rompre jamais le lien qui les unit.

On connaît les maux issus de régimes différens : la monstrueuse inégalité des fortunes, l’enrichissement oisif de certaines classes ou de certains particuliers, bénéficiant sans équité et sans scrupule du travail des siècles, la disparition fatale de la petite propriété et de la petite culture, l’accumulation des pauvres dans les villes, l’encombrement des bureaux de bienfaisance, la division redoutable de la société en deux classes : trop riches, trop pauvres ; le luxe insolent des premiers, la violence irritée des seconds, et, finalement, les campagnes politiques qui jettent les uns à l’assaut des autres. Le progrès égalitaire accompli en France depuis plus d’un siècle n’a pas apporté de solutions définitives, mais il a diminué les souffrances et peut-être indiqué la voie.

Le sens de la mesure est un don que le climat de France fait, chaque jour, à la race française : la vie est naturellement équilibrée et pondérée sous son ciel indulgent. Cette leçon de modération et de discrétion, avec l’art de borner ses désirs et de tenir en bride ses ambitions, serait sans doute l’enseignement