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On sent qu’il y a quelque chose à apprendre de ce peuple qui passait pour futile et dont l’existence, il y a quelques années encore, n’était autre, pour l’étranger, que la vie du boulevard. Des faits très graves ébranlant les sociétés qui se croyaient le plus sûres d’elles-mêmes, des situations extrêmement tendues, des luttes terribles, ont modifié bien des convictions, ébranlé bien des partis pris, assoupli bien des fiertés. On compare ; on ne se refuse plus à rechercher, dans les principes essentiels de l’ordre social réalisés par le droit civil des Français, la raison de cette stabilité qui commence à nous être enviée.

Le Droit civil français n’est pas, comme on l’a répété trop souvent, sorti tout armé de la tête de Bonaparte ; il n’est pas une frondaison spontanée, apparaissant subitement sur la terre française aux temps de la Révolution : il est le produit d’une longue culture, d’un prudent assolement, poursuivi par les siècles, la moisson définitive de ces usages, de ces traditions, de ces expériences pratiques que notre vieille histoire appelait, d’un mot très expressif, les coutumes, c’est-à-dire ce qui était en usage.

Ce droit civil éminemment pratique, concret et réaliste, n’était pas édicté par des « législateurs » plus ou moins autorisés et compétens ; il naissait, au jour le jour, de ce que Montesquieu appelle « les rapports permanens » entre les individus, les objets et la société. Recueillies et constatées par la pratique des tribunaux et de la jurisprudence, les « coutumes » furent authentiquées, après des siècles seulement, par le pouvoir politique ; mais, sans que celui-ci ait jamais songé à s’arroger l’autorité de porter atteinte à leurs principes et à leurs effets. L’œuvre de la Révolution française ne fut elle-même que la codification suprême des coutumes, ou plutôt l’adaptation, à l’ensemble du territoire français, d’une coutume maîtresse, la coutume de Paris[1].

De ces indications historiques, je veux simplement retenir

  1. « En général, on remarque que les rédacteurs du Code ont donné la préférence au droit coutumier sur le droit romain, dans presque toutes les matières sur lesquelles les coutumes avaient admis des principes qui leur étaient propres. La raison en est simple : le droit coutumier était le droit de la majorité des Français, et la plupart des membres de la section de législation du Conseil d’État étaient originaires du pays de coutume. » Aubry et Rau, Cours de Droit civil français, p. 24.