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l’œuvre de la civilisation. De quoi peuple vivant peut-on en dire autant ?

Sans la France, la France de Charles Martel, de Charlemagne, de Guillaume le Conquérant, de Godefroy de Bouillon, de saint Louis, de Jeanne d’Arc, de Calvin, d’Henri IV, de Champlain, de Louis XIV, de Voltaire, de Napoléon, de Pasteur, quel déficit dans l’acquis de l’humanité ! Or, pourquoi dénier, à la France de l’avenir, les facultés qui ont fait sa grandeur et sa force pendant de si longs siècles ?

Aujourd’hui, ne reste-t-il rien de bon à apprendre de cette nation qui a donné au monde l’évangélisation par la croisade et par l’enseignement scolastique, l’art gothique, le doute de Montaigne, la philosophie de Descartes, l’art et la littérature du XVIIe siècle, la philosophie du XVIIIe, la déclaration des Droits de l’homme, le Code civil, le système métrique, l’art moderne, tant de grandes découvertes et d’œuvres dignes de l’immortalité ?

La France a fait, souvent à ses dépens, des expériences dont les autres peuples ont profité. Elle est hardie, imprudente, téméraire : mais la source des dévouemens et du prosélytisme n’est pas tarie en elle. Dès qu’il y a un risque à courir, un péril à braver, sa jeunesse se présente. Hier, la conquête de l’Afrique ; aujourd’hui, l’escalade du ciel.

Ces « imprudences » ne sont pas déraison ; ces « folies » sont très sages, parce qu’elles sont conçues, selon le mot de Spinoza, sous l’aspect de l’Eternité. Une nation qui met la loi de sa survie si haut et qui, dans tous ses actes, depuis le plus glorieux jusqu’au plus familier, sacrifie toujours le présent au futur n’est pas de celles que l’histoire efface de la liste des vivans. Il n’est pas possible qu’elle n’ait pas l’avenir devant elle, elle qui pense sans cesse à l’avenir.

La nation française figure, en somme, parmi les plus saines et les mieux pondérées qu’il y ait, en ce moment, sur la terre. De là, l’intérêt avec lequel l’étranger et notamment les Anglo-Saxons, — revenus de bien des préjugés, — s’appliquent à la mieux connaître. Notre formation sociale, nos méthodes de travail (et notamment nos procédés agricoles), la constitution de la famille, le régime de la propriété, le système des successions, nos mœurs elles-mêmes font l’objet d’études plus attentives et plus équitables.