Page:Revue des Deux Mondes - 1912 - tome 11.djvu/542

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’élève jusqu’à une indifférence hautaine ! Il se publie, en France, assez de bons livres, il se joue assez d’excellentes pièces pour que notre littérature ne se sente nullement atteinte par cette qualification de « décadente » qu’elle s’est si imprudemment donnée à elle-même. Les romans du genre ennuyeux ne sont pas toute la littérature de langue anglaise ; les romans du genre léger ne sont pas toute la littérature de langue française. Il est permis de goûter ou de négliger les uns et les autres : ceux qui s’y complaisent ou qui les entretiennent de leurs deniers n’ont de reproches à faire qu’à eux-mêmes.

Pour le fond de la moralité nationale, il n’a rien qui nous mette en état d’infériorité à l’égard de tel pays étranger qui nous accable de ses sarcasmes. On pourrait discuter, sur cette matière, à l’infini. En France, comme hors de France, les grandes villes offrent des spectacles et des tentations que la sage province ignore, et c’est la province qui garde les générations pures et saines. Les climats diffèrent, les races n’ont pas exactement le même tempérament : mais la fanfaronnade de vices de certains peuples ne craint pas le parallélisme avec la tartufferie brutale de certains autres.

En fait, la famille française est un modèle de tenue, d’union et d’affectueuse collaboration. Entre le mari et la femme, il existe (sauf de très rares exceptions) une solidarité de sentimens, de travail et de sacrifices, tendant toujours à reporter, sur les enfans et sur la descendance, le résultat du labeur commun. Le « bas de laine » s’emplit de ce dont se prive le présent en faveur de l’avenir. L’économie, c’est la chaîne continue reliant les générations successives. Le Français ne dépense jamais complètement son salaire, son gain ou sa rente : il met, d’abord, à part ce qui garantit la vie et la durée de la famille : en un mot, il s’assure, lui et les siens, contre les risques de l’existence, par une abnégation constante, prévoyante et intelligente.

Cette constitution de la famille, envisagée comme permanente et survivante à l’individu et à la génération, est une conception toute française. Elle se manifeste par l’usage de la dot des filles, — pour qu’elles occupent une place respectée dans la maison où elles entrent, — par l’usage habituel de la communauté de biens entre le mari et la femme, par le partage égal des biens entre les enfans, par la rareté des divorces, par