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d’Henriette Manzoni, s’attarde à nous dépeindre la floraison enchantée qu’il découvre, chaque jour, dans cette âme imprégnée de lumière et de foi.

Or, pendant que la jeune femme de Manzoni marche ainsi d’un pas léger et sûr dans le chemin que lui a ouvert sa conversion au catholicisme, nous avons la surprise de constater que son mari ne la suit que d’assez loin, avec maints arrêts et maints regards en arrière. L’absence de toute allusion à des sujets religieux dans ses lettres à Fauriel s’explique, en vérité, par le sentiment qu’il doit avoir de l’indifférence totale et invincible de son ami aux sujets de cet ordre : mais déjà c’est chose assez étonnante que, préoccupé comme il doit l’être des questions théologiques, un « néophyte » de cette espèce-là, un « idéologue » fraîchement converti, un poète occupé à écrire des Hymnes sacrés, s’accommode d’échanger avec un ami incrédule une suite incessante de lettres souvent très longues, sans y rien trahir de ses plus intimes émotions et pensées. Encore n’en sommes-nous pas réduits à cette preuve « négative » de la médiocre qualité de la « conversion » du poète italien. Lui-même, dans ses lettres à l’abbé Tosi et à l’abbé Degola, s’accuse souvent de sa « tiédeur, » de la difficulté qu’il éprouve à laisser germer et fructifier en soi le grain qu’y ont semé les pieuses mains de ces prêtres. Et que l’on lise, simplement, ces quelques lignes d’une lettre de son confesseur, écrite environ un an après l’abjuration d’Henriette Manzoni : « Quant à ce qui est de notre bon Alexandre, j’avoue que je suis de plus en plus inquiet : mes craintes sur la dissipation que pouvaient lui causer le souci de ses affaires et les conversations de certains amis de Milan ne se sont pas du tout montrées vaines. Je voudrais le voir occupé plus sérieusement, plus docile aux tendres suggestions de sa femme et de sa mère. » L’année suivante, les « craintes » de l’abbé Tosi touchant le salut de l’âme de Manzoni, — qui vient d’achever les Hymnes Sacrés et s’apprête à écrire les Observations sur la Morale Catholique, — se sont aggravées à tel point que le saint prêtre demande instamment à Dieu de rendre impossible un voyage projeté du poète à Paris.

Non pas certes que Manzoni ne croie pas, pour son propre compte, à la vérité des dogmes religieux dont il s’est constitué l’interprète et le défenseur ! Jamais homme n’a été plus sincère que celui-là. Mais sa foi est « tiède, » exposée à des « dissipations « continuelles. Et cet état de choses ne changera que lentement, par des degrés insensibles, pour prendre fin à peu près vers le moment de la rédaction des Fiancés. C’est seulement à partir de cette date, — à partir de la dernière