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c’est comme si les trois « néophytes » évitaient à dessein toute parole un peu significative sur les motifs ou les premiers symptômes de leur conversion. Et vainement aussi nous chercherions ailleurs, parmi la foule des écrits italiens et français consacrés à la biographie d’Alexandre Manzoni, des renseignemens positifs capables de suppléer à cette fâcheuse lacune de sa Correspondance. Nous y trouverions bien, en vérité, — pour ne rien dire d’une nombreuse série d’anecdotes banales, — toute sorte d’indications des plus intéressantes touchant la personne ou les œuvres des membres de ce curieux petit groupe de jansénistes parisiens dont faisait partie l’abbé Eustache Degola, et qui doivent sûrement avoir contribué à préparer la conversion du poète et de sa femme, tout de même que nous les avons vus assister à l’abjuration solennelle de cette dernière : mais rien de tout cela ne suffit à nous faciliter la solution du seul problème qui nous tienne au cœur. Ni de la propre bouche de l’auteur des Fiancés, ni de celle de ses biographes anciens ou récens, nul moyen d’apprendre par quelles voies est passé cet illustre « converti » pour revenir « de si loin » aux croyances de ses pères, quels obstacles il a eu à franchir le long de sa route, et combien il a laissé de son sang aux pierres du chemin !


Et cependant il me semble que la lecture du volume publié par MM. Sforza et Gallavresi nous permet, tout au moins, de deviner quelques-unes des principales « étapes » de cette conversion, d’après ce que nous y apprenons de l’évolution ultérieure de la vie religieuse des deux « néophytes, » — omission faite de la troisième, l’ex-« Julie Beccaria » redevenue désormais Mme Julie Manzoni, que je soupçonne d’avoir toujours apporté surtout à sa ferveur catholique son ancienne « sensibilité » un peu superficielle. Mais au contraire on ne saurait imaginer une piété plus profonde, à la fois, et plus belle, plus évidemment jaillie des sources secrètes du cœur, que celle que nous révèlent les lettres de la jeune Henriette Manzoni. Celle-là vient à peine d’entendre les paroles du prêtre janséniste, la « relevant des censures encourues par elle, » et « l’admettant à entrer dans le sein de l’Église, » qu’aussitôt une singulière et magnifique transfiguration s’accomplit dans toute sa personne, changeant la petite créature insignifiante de naguère en un type admirable de jeune femme chrétienne, pleine d’exquise sagesse sous son humilité. Aussi bien tout son entourage ne manque-t-il pas à subir le charme de cette piété merveilleusement souriante et limpide : il faut voir avec quel plaisir ingénu, par exemple, le vénérable chanoine Tosi, confesseur habituel