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« recevoir l’absolution des censures par elle encourues, « en présence d’une vingtaine de témoins notoires, parmi lesquels je me contenterai de citer Silvestre de Sacy, « membre du Corps législatif et de l’Institut, » André Constant, « ancien évêque d’Agen, » Pierre-Jean Agier, « président de la Cour d’appel, » P. -S. Audran, « professeur au Collège de France, » et enfin ce modèle de dévotion catholique qu’est devenue à présent la susdite « Julie Beccaria, veuve Manzoni. »


Alexandre Manzoni, lui, étant né catholique, n’a pas eu besoin d’abjurer publiquement les erreurs de son « idéologie. » Mais le fait est qu’il les a, depuis lors, abandonnées pour toujours, avec la ferme résolution de consacrer dorénavant au service de l’Église romaine son double talent de poète et de prosateur. Ses Hymnes sacrés, ses Observations sur la morale catholique, et le roman immortel dont la rédaction l’occupe tout entier au moment où s’arrête le premier volume de sa Correspondance : ce sont là autant de preuves de la réalité d’une « conversion » pour le moins aussi inattendue et aussi « radicale » que celle de la fille des huguenots Blondel. « La nouvelle que vous m’annoncez m’a plongé dans une véritable stupeur, » répondait le chanoine milanais, Tosi à son ami l’abbé Eustache Degola, qui lui avait appris le retour du jeune couple à la foi catholique. Et semblablement, le pieux président Pierre-Jean Agier écrivait à l’abbé Degola, après l’avoir félicité de la ferveur édifiante de sa « néophyte » Henriette Manzoni : « Ce que vous ajoutez au sujet du mari est admirable. Quelle miséricorde d’être appelé de si loin ! »

En sa qualité de janséniste, le vieux magistrat ne voulait voir dans cette conversion qu’un effet tout gratuit de la « grâce » divine, « appelant » le jeune poète du fond de l’abîme d’erreur où il se complaisait. Mais, que l’on partage ou non cette manière de concevoir la révolution religieuse accomplie dans l’âme d’Alexandre Manzoni, on n’en aimerait pas moins à connaître les circonstances historiques d’un événement qui, sans parler de son influence sur la destinée personnelle de l’auteur des Fiancés, a valu à l’Italie l’un des plus beaux monumens de sa littérature. Hélas ! j’ai dit déjà le silence absolu, l’étrange et inexplicable silence des lettres du poète sur ce point décisif de sa vie intérieure. Non seulement les pièces officielles que j’ai citées tout à l’heure nous arrivent à l’improviste, dans le précieux recueil de MM. Sforza et Gallavresi, sans que nous ayons rencontré, jusque-là, le moindre indice de préoccupations religieuses chez Manzoni lui-même, ni chez ses deux compagnes : mais plus tard encore,