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de nouveau à Paris, en compagnie de sa « chère Julie » et de sa « chère Henriette. » De nouveau Manzoni consacre assidûment à son ami Fauriel tous les loisirs que lui laissent ses travaux poétiques. Sa mère, pareillement, est toute au bonheur d’avoir retrouvé son amie Mme de Condorcet ; et il n’y a pas jusqu’à la jeune Henriette qui, dans les lettres qu’elle écrit à sa famille, ne se montre naïvement enchantée des divers milieux « philosophiques » où l’ont introduite son mari et sa belle-mère. Pas un mot qui trahisse, chez nos trois Milanais, le moindre changement de pensée, ni de vie. Après comme avant le mariage du poète, ce sont les mêmes correspondans qui défilent sous nos yeux, et ramenant avec soi les mêmes sujets : problèmes cour ans d’esthétique générale ou de technique littéraire, anecdotes mondaines, menus incidens de l’existence intime. Seule, au début de l’année 1809, la naissance d’une fille introduit un élément supplémentaire dans la matière habituelle de ces lettres au jour le jour ; et c’est déjà avec un peu de surprise que nous voyons le sceptique Fauriel constamment appelé, depuis lors, le « parrain » de la petite Juliette, — sans que nous sachions d’ailleurs dans quelles conditions et selon quel rite a été baptisée cette enfant d’un père « idéologue » et d’une mère huguenote.

Mais voici que, soudain, le chapitre de l’année 1810 s’ouvre par une série de documens de la gravité la plus imprévue ! C’est d’abord une lettre d’Alexandre Manzoni au pape Pie VII, où il s’accuse humblement d’avoir péché en négligeant de faire bénir son mariage par un prêtre, et se déclare « disposé à réparer cette grave faute d’après les principes de la sainte religion catholique. « Puis c’est l’acte officiel attestant que « M, Pierre Boilesve, prêtre docteur en droit canon, chanoine honoraire de l’Église métropolitaine de Paris, ayant vu le rescrit de Rome obtenu par Alexandre Manzoni, » a célébré le mariage de celui-ci avec Henriette Blondel, « en l’hôtel de Mgr Marescalchi, ministre des relations extérieures du Royaume d’Italie ; » et parmi les signatures qui suivent celles des deux mariés, nous avons l’étonnement de lire, en premier lieu, celle de « Julie Beccaria, veuve Manzoni. » Après quoi vient une supplique signée d’Henriette Manzoni, qui, « appelée par la grâce toute-puissante de Dieu à rentrer dans le sein de l’Église, reconnaît les erreurs de la secte calviniste, les déteste sincèrement, et veut désormais vivre dans le sein de l’Église catholique, qui est la colonne de la vérité. » Si bien que, le 22 mai 1810, par devant le « prêtre Eustache Degola, docteur en théologie, » la jeune femme est admise à « abjurer solennellement la secte calviniste, » et à