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que la demoiselle, cette fois, ne présente plus absolument aucun risque d’ « intolérance » ni de « superstition ! » « Elle est, de plus, protestante ! — annonce-t-il joyeusement à son cher Fauriel. — En un mot c’est un trésor ; et il me paraît enfin que, bientôt, nous serons trois à vous désirer. »

« Protestante, » la jeune fille dont parlait Manzoni l’était à la fois de naissance et d’éducation. Née en 1791 aux environs de Milan, Henriette Blondel ne semble pas avoir jamais su au juste, il est vrai, si elle devait se regarder comme Française ou comme Genevoise : mais du moins nul doute n’était possible sur l’origine foncièrement « huguenote » de ses deux parens. Au plus loin que remontassent leurs généalogies, les Blondel et les Mariton n’y rencontraient que de zélés protestans, infatigables à détester l’ « idolâtrie romaine ; » et bien que le père de la jeune fille, dans une lettre du 6 avril 1809, se défendit d’attacher la moindre importance aux formes différentes des croyances religieuses, son attitude et surtout celle de sa femme, lorsque, bientôt après, leur fille se convertit au catholicisme, nous permettent suffisamment de comprendre qu’au premier rang des traditions transmises par eux à leurs enfans devait avoir figuré cette même horreur de l’ « idolâtrie. » « Oh ! Henriette, — allait écrire Mme Blondel à la jeune femme, qui lui avait timidement avoué son abjuration du protestantisme, — tu as eu le courage de trahir ta mère ! Tu as eu le courage de l’exposer aux risées des uns, au mépris des autres ! Cette mère a le cœur percé, navré, de mille façons ! » Voilà bien une famille animée de cette « tolérance » particulière que souhaitait Manzoni chez sa « future compagne, » et qui sans doute aussi ravissait l’âme « sensible » de sa mère ! De telle sorte que le poète, renonçant à son projet d’union avec Mlle de Tracy, s’était empressé de prendre pour femme la jeune protestante. Il s’était marié avec elle à Milan, le 6 février 1808 ; et comme le clergé catholique, avant de bénir son mariage, aurait exigé de lui la promesse d’élever ses enfans dans la foi de l’Église, notre « idéologue » s’était contenté de la bénédiction plus discrète de ce pasteur calviniste qui nous a raconté, tout à l’heure, un trait touchant de « sensibilité » de Julie Beccaria. Tout au plus Manzoni s’était-il souvenu de son ancienne éducation catholique, au lendemain de la cérémonie, pour appliquer plaisamment à son ami Fauriel les termes d’une antienne de la liturgie : Veni, Domine, noli tardare ! Dans une autre lettre, tout en se plaignant des « prêtres, » il se déclarait résigné « à les supporter jusqu’à ce qu’ils commencent à nous ennuyer ! »

Après quoi la correspondance du poète nous le fait voir s’installant