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père de famille, et dont le texte s’accompagnait d’une image gravée. Cette lecture avait profondément ému Alexandre Manzoni, qui avait deviné l’intention de sa mère. Une larme était même tombée de ses yeux, sur la gravure ; et l’on m’a raconté que la mère, tout de suite, avait fait encadrer cette gravure d’un petit cercle d’or.


Le fait est, cependant, que Mme Manzoni ne paraît pas avoir éprouvé la moindre peine à éveiller et à entretenir dans le cœur de son fils le désir du mariage. Presque dès le début de sa correspondance, nous voyons celui-ci préoccupé de se choisir une femme, tandis que sa mère, de son côté, ne se montre pas moins impatiente de pouvoir « consacrer sa vie à celle qui sera la compagne de son Alexandre. » Lorsque, vers le milieu de l’année 1807, Mme de Condorcet et Fauriel ont révélé à leur ami qu’ils comptent le mettre bientôt en relations avec une fille du philosophe « idéologue » Destutt de Tracy, c’est avec son ingénuité et sa chaleur accoutumées que le jeune homme leur témoigne son adhésion immédiate à ce charmant projet. « Parlez-moi encore de cette affaire qui m’intéresse, qui nous intéresse sous tant de rapports, et dont l’initiative m’a offert tant de belles espérances ! » Quelques jours plus tard, il écrit à ses amis : « Vous devez vous imaginer aisément le plaisir que nous a fait ce que vous nous dites de la condescendance de M. et Mme de Tracy à ne plus envisager comme un obstacle invincible la condition que nos circonstances et le genre de ma fortune m’obligent à mettre à une alliance si honorable pour moi ! »

Cette « condition » doit avoir été le consentement de la fiancée à aller habiter l’Italie, où les Manzoni se voyaient rappelés, bien à contre-cœur, par le souci de leurs intérêts financiers. Mais un passage de la même lettre nous apprend que le jeune homme et sa mère exigeaient également, de la « future compagne d’Alexandre, » une autre condition, d’ordre spirituel, et consistant en « une bonne dose de tolérance. » Ce qui revenait à dire qu’ils n’accepteraient, — l’un pour sa femme et l’autre pour sa bru, — qu’une personne plus ou moins complètement affranchie de tous « préjugés » catholiques ; et il ne serait pas impossible que cette condition-là eût contribué plus encore que l’autre à l’échec de tel ou tel des divers projets qui se laissent entrevoir au cours de la correspondance des deux Manzoni. Car voici qu’au mois d’octobre de la même année 1807, dès le lendemain de son retour à Milan, la plus précieuse des qualités découvertes par Alexandre chez une jeune fille qu’on lui a proposée, — une qualité plus précieuse encore, à ses yeux, que le fait de « n’être pas noble, » — se trouve être